Bruno DELAYE
Merci à tous d'être présents pour cet après-midi de réflexion commune et merci à
l'ACAD pour le magnifique travail de mobilisation qu'elle a fait. Merci aussi pour ce qu'elle
représente ; au service du développement, fonctionnaires, agents de services publics nous y
ajoutons en plus de notre engagement professionnel, une petite étincelle de conviction et
d'engagement personnel dans une tâche immense.
Nous nous efforçons depuis des années de réfléchir et d'agir en faveur du développement,
d'avoir une bonne compréhension de l'état des choses et d'avoir une mécanique qui nous
permette d'organiser et de hiérarchiser notre action de façon à ce que celle-ci puisse trouver un
minimum d'efficacité sur le terrain et que ce que nous pensons puisse être partagé par tous les
acteurs qui concourent à l'effort commun en faveur du développement, où qu'ils soient.
Contribuer aujourd'hui à l'effort du développement c'est d'abord s'attaquer à un
certain nombre de verrous institutionnels qui ont aussi à voir avec une alchimie mystérieuse
mélangeant culture, institutions, organisation géographique des pouvoirs, démocratie,
appropriation des savoirs etc.…
Nous savons également tous qu'il faut un effort du Nord vers le Sud, la première nécessité
étant de mobiliser des flux d'aide publique au développement. C'est en tout cas notre
conviction au sein du Ministère des Affaires Etrangères.
Enfin, nous ne pouvons plus traiter les questions de développement sans en même temps traiter
les nécessaires et indispensables régulations de la vie commune sur la planète : des règles que
nous nous donnons pour les conditions d'échanges, de production, de vie commune sur une
planète devenue village.
Lorsque nous admettons ces trois choses et lorsque nous les croisons avec les derniers
documents de l'ONUDI et des économistes du CNUD sur les biens publics mondiaux, nous
nous disons qu'il existe une piste de réflexion intéressante, et qui nous intéresse au plus haut
point à la DGCID.
A partir de cette notion de biens publics mondiaux qu'il faut produire (santé, éducation), ou
préserver (eau, forêts, environnement, espace), nous pouvons changer les contours intellectuels
du problème et peut-être aussi une partie de la philosophie qui a présidé jusqu'à présent.
L'objectif pour le Ministère des Affaires Etrangères est d'arriver à la production d'un
document de synthèse représentant l'état actuel des réflexions et des concepts français, validés
au préalable par des expériences sur le terrain et discutés, confrontés, avec tous les acteurs
français participant à la bataille générale pour le développement.
Il s'agit d'un objectif modeste mais je crois que si nous arrivons à une conception française de
la lutte contre la pauvreté, nous aurons fait œuvre utile et nous ne serons pas obligés d'être
constamment en situation réactive par rapport aux idées nouvelles, bonnes ou mauvaises, dans
les enceintes internationales.
Merci à tous ceux qui ont accepté de nous éclairer par leurs réflexions qu'ils ont déjà depuis
longtemps engagées sur ce sujet.
Dans l'ordre de prise de parole nous allons écouter successivement Monsieur
Tomasi,
Madame Tubiana et Monsieur Sévérino nous apporter chacun d'un point de vue différent leur
opinion et un éclairage sur ce sujet. Merci de votre attention et au nom de tous, merci à ces
trois personnes d'accepter de faire les présentations introductives.

M. LEVY :
Si vous permettez, quelques mots d'introduction pour vous présenter le cahier des
charges du débat tel que nous l'avons construit avec les intervenants.
Comme vous le savez, cette question des biens publics globaux n'est pas complètement
nouvelle, certains auteurs nous rappellent que déjà au 17ème siècle il existait des traités
internationaux signés pour garantir l'accès à la mer.
Au 20ème siècle le nombre de questions nécessitant une gestion internationale n'a fait que
croître. Il ne s'agit donc pas d'une notion nouvelle mais le contexte actuel peut lui donner une
portée différente :
1- Face à la multiplication des biens publics globaux, il devient nécessaire de les
hiérarchiser. Comment et qui en est chargé ?
2- Nous sommes dans un contexte où l'ouverture commerciale est maintenant acquise
et où la croissance mondiale se joue assez peu dans la relation avec les pays pauvres. L'aide
publique a tendance à se recentrer sur le social, à prendre une orientation caritative en
délaissant les objectifs économiques.
Que faire face aux inégalités croissantes et en quoi l'approche « bien public global » permet-elle de réintégrer la dimension économique des problèmes ?
3- Nous sommes face à une multiplicité des acteurs : firmes multinationales, acteurs de
la société civile, instances de régulation internationale,… Les Etats sauront-ils inventer de
nouvelles dynamiques combinatoires avec cette multiplicité des acteurs ? L'approche des biens
publics globaux apportera-t-elle des réponses à cette question ?
Trois intervenants vont donc contribuer à notre réflexion : Serge
TOMASI, sous-directeur du développement social et de la coopération éducative à la DGCID, préalablement
attaché financier à la représentation française auprès des
Nations Unies. Nous lui avons
demandé de nous éclairer sur la définition, le concept, et d'autre part sur les implications
politiques de l'approche des biens publics globaux sur la scène multilatérale.
Laurence TUBIANA est chargée de mission auprès du Premier Ministre et membre du
Conseil d'analyse économique. Elle est spécialisée sur les problèmes d'environnement. Ayant
participé à toutes les dernières négociations, elle nous fera part de l'expérience française en
matière de négociation internationale sur les questions environnementales, un des cas
d'application des biens publics globaux.
Jean Michel SEVERINO, inspecteur général des finances, préalablement vice- président
de la Banque Mondiale et ancien directeur au Ministère de la Coopération. Il nous livrera son
analyse sur les conséquences de cette approche sur les politiques de coopération, avec en tête
les politiques françaises et européennes.
Nous terminerons par un débat grâce à vos commentaires et à vos questions.

M. TOMASI :
voir
document spécifique

M. LEVY :
Il paraît assez logique après cette première intervention, de demander à Laurence
TUBIANA qui a participé aux négociations sur les questions environnementales de prendre ce
cas de figure pour montrer que la France est engagée dans ces négociations, d'autre part que
ces enjeux sont déjà en pratique et enfin pour nous faire part des difficultés rencontrées.

L. TUBIANA :
Effectivement j'ai été amenée depuis trois ans à utiliser cette notion de bien public en
matière d'environnement et je me souviens de la réaction de mes collègues à Matignon
disant : « c'est américain ça comme concept ? » Avec une manière très particulière de
l'administration française de se dire : « bon après tout si ce n'est pas de nous que ça vient,
c'est louche, il faut qu'on s'en méfie et nous avons sûrement un meilleur concept à mettre à
la place ».
Je vois qu'aujourd'hui, la communauté épistémique française n'a pas du tout fait comme
d'habitude autour des questions internationales mais au contraire, s'est demandée ce qu'elle
pouvait en faire.
Je constate que cela donne à la France, et à sa capacité à la fois intellectuelle et politique
d'action, un levier pour réintroduire dans le débat international des notions qui nous sont
chères : le rôle de l'Etat et la légitimité de la puissance publique ; la question de la démocratie
internationale et les questions de solidarité
Nous avons là le meilleur signe que la coopération française est en train de se renouveler et de
repenser un peu sa manière de voir.
Alors pourquoi l'environnement ? D'une manière assez évidente parce qu'il y a
beaucoup de biens que nous ne savons pas aborder si nous ne les prenons pas comme « bien
global ».
Depuis la conférence de Stockholm (1972) et bien sûr la conférence de Rio (1992), il y a eu
tout un processus pour faire des biens environnementaux des questions collectives
internationales.
Ni la préservation de l'atmosphère, ni la couche d'ozone, ni la bio-diversité ne se sont
constituées ou n'ont été prises d'évidence comme des biens publics. Il s'agit d'un processus
politique de négociation de la communauté internationale, d'actions, de lobbies, d'ONG, et de
gouvernements pour que ces biens environnementaux acquièrent d'abord un statut de bien.
Tous les biens environnementaux ne sont pas encore considérés comme des biens publics
globaux, c'est-à-dire des biens réclamant une coopération internationale, des règles, une
régulation juridique, des instruments économiques etc.
Il y a un problème de compétition dans les ressources qu'il faut mettre, ressources financières,
ressources intellectuelles, temps de négociation.
Lorsque nous comparons les efforts mis par la communauté internationale sur la question de la
désertification et ce que nous faisons en matière de climat, nous voyons bien que le processus
de constitution d'un bien public pour lequel nous allons mettre en œuvre une action
internationale, est un processus politique, un arbitrage. Ce sont des choix faits sur une
confrontation de différents points de vue, de différentes préférences sur le plan international.
Nous sommes bien face à deux chronologies différentes qui sont restées parallèles pendant un
moment, et qui aujourd'hui entrent en conflit ou en compétition :
- La chronologie venue de la guerre ou de l'après guerre, pour laquelle le bien public
essentiel, la paix et la sécurité, s'est combiné nécessairement avec le développement du
commerce et la libéralisation des échanges. Tout le processus d'activités internationales
depuis 1948 apparaît comme une association entre la recherche de la paix et de la
sécurité et la manière de libéraliser le commerce.
- La chronologie des questions de développement et d'environnement dont
l'aboutissement est la conférence de Rio en 1992 où il est question des biens publics
environnementaux dans leur composante de développement.
En 1994 c'est la fin du cycle de l'Uruguay Round et l'établissement de l'organisation
mondiale du commerce.
Ces deux chronologies restent parallèles mais nous allons voir maintenant comment elles se
rencontrent.
Qui dit bien public dit d'une certaine manière nécessaire régulation internationale, cette
régulation a évidemment deux volets, une régulation économique et une régulation juridique.
Alors pourquoi une régulation économique ? Signalons que les biens publics globaux,
environnementaux, pour lesquels on investit de l'énergie, sont des biens publics qui ont une
importance économique stratégique.
Quand on pense climat, de quoi parlons-nous sinon des politiques énergétiques, c'est-à-dire du
cœur de la croissance économique ? Quand nous parlons de bio-diversité, nous parlons des
ressources génétiques, de toutes les ressources vivantes, c'est-à-dire la future ou l'actuelle
révolution industrielle à travers la question des industries de l'information.
La bio-diversité des climats a certes les conventions les plus importantes, c'est là que nous
mettons le plus de moyens pour négocier et il se trouve qu'elle touche deux enjeux
économiques tout à fait majeurs dans la mondialisation actuelle.
Alors instrument pourquoi ? Régulation économique pourquoi ? Nous n'avons pas de
gouvernement mondial, nous n'avons pas de gendarmes qui obligent de produire des normes
internationales, cela nous le savons, ni de produire des règles internationales juridiques, cela
nous le savons un peu moins.
Nous commençons à savoir le faire, mais nous n'avons pas de gouvernement pour les faire
appliquer, nous n'avons pas de cour de justice internationale pour l'environnement de la même
manière que nous avons maintenant de façon émergente, une cour de justice internationale
pour la question des droits de l'homme.
La priorité des efforts et le moment où les négociations environnementales sont devenues
sérieuses est lorsque nous avons recommencé à bâtir des instruments économiques incitatifs
pour qu'au fond, ces négociations sur l'environnement, ces accords, parfois acquis à grande
peine, puissent s'appliquer d'eux mêmes. C'est vraiment le cœur de la discussion sur les droits
de propriété et sur les instruments économiques.
Alors, il y a au fond deux grandes solutions sur la table pour bâtir ces instruments
économiques, représentées et défendues par des courants divergents :
- Le courant qui essaie de remettre le marché au cœur de la fourniture de ces biens
publics. L'idée de créer ces marchés signifie créer des droits de propriété sur ces biens
globaux que représente l'environnement.
- Le deuxième courant, est le besoin de financement international, courant qui se
regroupe derrière l'idée de fiscalité internationale. Une bonne fiscalité internationale
serait sans doute la solution pour les biens publics globaux.
Nous avons là deux écoles qui sont aussi deux pratiques idéologiques, opposées aujourd'hui
sur le terrain, mais en train de se réunir justement au travers de l'environnement.
Evidemment le débat mené à travers la convention climat est un débat difficile puisque nous
avons rejeté en 1995 l'idée d'une taxe internationale sur l'énergie.
Lorsque nous voyons les cris d'orfraie y compris en France sur la taxe tobin, nous pouvons
nous dire que dans cinq ans ou dix ans nous aurons des instruments fiscaux internationaux car
il n'y a pas d'autre solution pour ces biens publics globaux.
Jusque là nous avons toute une série d'instruments qu'il faut regarder soigneusement :
droits de propriété intellectuelle s'agissant de la convention sur la bio-diversité, droits
d'émission s'agissant de la convention climat, quotas transférables s'agissant de l'exploitation
des océans et d'autres types de quotas que nous étudions aujourd'hui pour essayer de gérer les
forêts de façon plus durable.
De la même manière que nous avons une innovation fantastique dans le domaine des marchés
financiers pour mettre au point de nouveaux instruments, nous avons la même créativité en
matière de droit international sur l'environnement.
Si nous regardons les accords sur le commerce des déchets dangereux, ou ce que nous avons
fait fin des années 80 début des années 90 pour l'ozone, nous avions là un droit international
très faible qui n'avait pas de moyen d'action, pas de régime d'obligation stricte, mais
simplement les effets de réputation ou d'information qui obligeaient les gouvernements
à respecter leurs engagements.
Nous sommes aujourd'hui dans un univers totalement différent. Même si les négociations de
La Haye ont échoué, elles ont échoué avec un texte qui jette les bases d'un système
d'obligations sans précédent en matière d'environnement.
La communauté internationale a accepté l'idée de sanction, l'idée de règlement des différends
spécifique à la convention climat, et a accepté l'idée qu'il y avait une autorité indépendante à
créer, de type judiciaire qui jugerait de la conformité des pratiques des différentes parties de
cette convention.
Il y a vraiment une révolution qui est en train de se faire en matière de droit de l'environnement
sur l'idée que certes ces accords existent, ce sont des accords où toutes les parties doivent
remplir leurs obligations mais nous ne leur faisons pas confiance et des systèmes de sanction
sont en train de se mettre en place à l'instar des négociations commerciales.
Ces deux types de régulation, économique et juridique posent un problème majeur qui est le
problème à la fois de la compétition entre les biens publics dans leurs choix, mais surtout sur
les conflits qui commencent ou qui vont émerger dans les règles qui gèrent les différents biens
publics : si nous avons aujourd'hui des accords environnementaux qui s'appliquent ils vont
entrer en conflit avec les normes commerciales et les accords commerciaux déjà pris. Plusieurs
cas :
- Les droits de propriété intellectuelle aujourd'hui débattus au sein de la convention bio-diversité qui vont entrer en conflit avec l'accord sur la propriété intellectuelle négocié
et mis en œuvre à l'intérieur de l'organisation mondiale du commerce.
- Le principe de précaution, central dans le protocole bio-sécurité qui réglemente la
circulation des OGM et dans la convention qui régit les polluants. Pour le commerce
des polluants, le principe de précaution est largement en contradiction avec les normes
en vigueur sur l'évidence scientifique.
Nous allons donc assister à un conflit de normes que nous ressentons évidemment très
fortement dans la négociation, lorsque nous devons établir la relation de hiérarchie ou au
contraire la relation d'équilibre, de non-hiérarchie entre les accords, et notamment entre les
accords environnementaux et l'OMC. Il s'agit du principal objet de conflit entre l'Europe et les
Etats-Unis aujourd'hui dans toutes les négociations environnementales.
Il y a donc un problème de mise en cohérence des accords multilatéraux
d'environnement. Allons-nous créer cinquante mécaniques de règlement des différends ? Ou au
contraire allons-nous essayer de construire un système global de gouvernance de ces accords
permettant d'équilibrer la force des accords environnementaux face aux accords commerciaux,
notamment par la création d'une organisation mondiale de l'environnement ?
Ce sont des questions de gouvernance globale de l'environnement qui sont aujourd'hui
sur la table et qui, parce que ces accords sont spécifiques, ne sont à la fois pas tout à fait sur le
modèle des accords Nations Unies habituels (un pays, une voix), mais plutôt sur le modèle de
l'Organisation Mondiale du Commerce (une partie, une voix). Nous avons là des modes de
gestion entièrement nouveaux qui réclament des solutions nouvelles du point de vue de la
gouvernance globale.
Nous savons que les Etats-Unis et la Commission Européenne étaient favorables à la
création d'un groupe sur les biotechnologies à Seattle, à l'intérieur de l'OMC ; les ministres
européens de l'environnement et finalement les quinze états membres se sont prononcés contre
la création de ce groupe car ils estimaient qu'il fallait d'abord que l'accord environnemental
soit conclu pour que nous puissions aborder le volet commercial au sein de l'OMC. La
commission, le gouvernement américain, et d'une manière générale les négociations
commerciales ont enregistré un échec, un back clash. Mais d'une manière ou d'une autre, la
compétition a été créée sur ce sujet.
Finalement ces biens publics globaux et notamment l'environnement, interrogent. Et
c'est pour cela que c'est un levier tout à fait central dans le débat politique, à la fois national et
international. Ils interrogent sur le modèle de croissance, sur les mécanismes de régulation,
refondent d'une certaine manière un nouveau rôle pour l'Etat, pour la puissance publique, en
légitimant de nouveau la solidarité internationale et en donnant un fondement à la limitation
excessive de la privatisation.
Le Monde n'est pas une marchandise, la notion de bien public global fonde cette idée
totalement, et en même temps montre l'importance de l'arbitrage et de la constitution d'un
système institutionnel qui fasse reconnaître les différents statuts de ces biens publics.
Ce débat est central pour notre vision française et européenne. Il faut donc le mener jusqu'au
bout et l'administration, la communauté scientifique, mais aussi les associations ont toutes un
rôle très spécifique à assumer pour que ce débat se déroule et pour que nous en tirions les
conclusions institutionnelles politiques. En effet encore une fois, ce débat est aussi un débat sur
la démocratisation des négociations internationales : comment nous choisissons, comment nous
gérons, et un débat sur la démocratie mondiale plus globalement, puisque tout ceci ne peut pas
se passer seulement entre les gouvernements mais se passe dans un contexte où une multitude
d'acteurs et de forces différentes confrontent leurs préférences.

M. LEVY :
Nous avions déjà lu des compte-rendus de ces négociations mais nous venons de
toucher du doigt de façon encore plus concrète la réalité de ces négociations internationales.
Ce qui s'y joue est particulièrement important pour nos valeurs, nos réalités quotidiennes.
Nous constatons que cela est aussi un terrain d'inventivité permettant de contrebalancer
l'impression fréquente que toutes ces conférences internationales ne servent à rien.
Il s'y jouent des enjeux considérables et nous pouvons y faire valoir nos idées, nos
concepts, nos valeurs. En particulier nous pouvons faire en sorte que l'importance excessive de
la « marchandisation », la démocratisation des négociations internationales, aient la possibilité
d'être défendues dans de telles enceintes.

M. SEVERINO :
Combien d'économistes libéraux faut-il pour changer une ampoule électrique ? En fait
la théorie libérale fournit une réponse à cette question difficile parce que la main invisible du
marché se chargera de changer l'ampoule s'il y a une demande d'électricité.
S'occuper des biens publics globaux, c'est s'occuper de toutes les raisons pour
lesquelles il faut qu'à un certain moment, un électricien, non pas virtuel mais réel, arrive pour
changer l'ampoule. Ces raisons sont que la main invisible du marché ne fonctionne pas mais
c'est peut-être une vision un peu plus générale des biens publics globaux, c'est-à-dire que la
main invisible du marché peut ne pas fonctionner parce qu'il y a des monopoles, des coûts fixes
dans l'économie, c'est le problème des dotations de survie.
Je vais essayer de me concentrer sur quatre sujets : un sujet à haute teneur
philosophique qui sont les conséquences stratégiques de cette approche des biens publics
globaux pour le développement, l'aide au développement. Une conséquence instrumentale:
quels sont les outils, quelles sont les modifications sur les outils qui peuvent être impliquées par
cette nouvelle façon de voire la vie internationale. Et puis une conséquence « managériale » :
est-ce que cela change quelque chose, est-ce que tout ceci peut changer ou doit changer notre
système de management ?
Sur le premier point, il est clair que cette façon de penser l'économie mondiale à travers
ses imperfections et de légitimer l'intervention publique à partir des défaillances du marché est
un outil assez important de réhabilitation stratégique de l'aide publique au développement en
en faisant un outil d'accompagnement de la globalisation.
En effet, il n'y a pratiquement pas de sujet sur la globalisation qui n'ait aujourd'hui
comme dimension essentielle les rapports Nord-Sud. Cela est vrai des questions
d'environnement, de climat, sanitaires, financières. L'équilibre des marchés mondiaux tient
beaucoup aux dynamiques internes des marchés émergeants et leurs rencontres avec les
marchés internationaux.
Cela pose la question du positionnement de l'aide publique au développement en tant
qu'outil de gestion, qui s'insérerait dans ce maillage de négociations internationales pour les
aider à définir les instruments qui les rendraient possibles.
Si nous apportons les choses de cette manière là, il y a deux approches stratégiques de
l'aide au développement : l'une globale et l'autre parcellaire. Alors la légitimité, la légitimation
globale de l'aide publique au développement à travers cette optique de la globalité part du
principe de la théorie néoclassique : les divergences des disparités de revenus entre économies
devraient se corriger automatiquement parce que la convergence des revenus entre pays riches
et pays pauvres devrait se faire automatiquement, dans la mesure où la rentabilité relative des
investissements dans les économies les plus pauvres doit être plus élevée que dans les
économies les plus riches, et donc l'investissement doit s'y orienter spontanément et ainsi de
suite. Nous devons donc obtenir un mécanisme correctif cumulatif.
Si cela ne se passe pas, en particulier dans une économie globalisée où tous les marchés
se connectent, il ne peut y avoir que deux raisons : les marchés globaux et/ou les marchés
locaux dysfonctionnent. Si les marchés locaux dysfonctionnent, nous pouvons nous poser la
question d'aller les corriger, il faut alors développer un discours expliquant pourquoi il est
important d'aller corriger les défaillances des marchés locaux. Ces raisons sont reliées aux
problèmes des externalités des impacts négatifs posés pour la croissance mondiale par le fait
qu'un certain nombre d'économies locales défaillent.
Il existe en particulier dans cette approche par la défaillance des marchés locaux, un
certain nombre de points assez forts, liés à la distribution inégale des savoirs. Nous savons
qu'en effet une des raisons importantes pour lesquelles l'investissement dans une économie
globalisée ne se dirige pas vers les économies en développement mais vers les économies
industrialisées tient au fait que la productivité relative du travail est plus élevée dans les
économies industrialisées qu'elle ne l'est dans les économies en développement, en particulier
parce que les niveaux d'éducation, les niveaux d'accumulation du savoir y sont plus élevés.
Or l'accumulation du savoir n'est pas seulement un phénomène purement économique,
c'est aussi un bien public dont la distribution inégale pose des problèmes importants de justice
et de légitimation des inégalités.
Il y a donc une motivation importante à aller développer les systèmes éducatifs,
accroître les stocks de capital des pays les plus pauvres, dans une optique d'équilibrage à long
terme des économies qui doit reposer sur l'exploitation de toutes les ressources humaines
disponibles.
Nous avons une entrée dans la légitimation des interventions en matière d'aide au
développement par ce biais du local, mais il y a les dysfonctionnements des marchés globaux.
Par exemple, l'une des raisons pour lesquelles les marchés financiers globaux ne génèrent pas
suffisamment d'investissements étrangers dans les pays en développement tient au fait que
l'information sur les opportunités d'investissement dans les marchés locaux est insuffisamment
partagée.
Donc il y a des problèmes de dissymétrie d'informations, des problèmes de manque de
transparence des marchés etc., qui pourraient être corrigés par des politiques globales.
Cette première catégorie d'approche consiste à dire : « une aide publique au développement est
importante et nécessaire parce qu'actuellement, la façon dont la croissance mondiale est
structurée connaît un certain nombre de limites liées aux dysfonctionnements locaux ou
globaux. Travaillons sur ces dysfonctionnements locaux ou globaux ».
Dans la deuxième approche, nous sommes dans une optique plus thématique, plus
sectorielle et nous cherchons à savoir comment des actions de financement ou des actions de
transfert de savoir ou de construction institutionnelle peuvent rendre possible, acceptable, ou
sont au contraire nécessaires à la mise en place d'accords globaux.
Nous approchons la question des pays en développement à travers trois types de
situation qui sont trois légitimations d'intervention :
Ces pays en développement sont au fond producteurs de risque, ils génèrent des
externalités négatives pour les pays développés ou industrialisés qui impliquent d'aller les
corriger. C'est le principe du pollué-payeur. Par exemple je considère qu'il y a une
importance stratégique à ouvrir l'ensemble des marchés financiers mondiaux mais je sais
que les marchés financiers des pays en voie de développement, des pays émergents
dysfonctionnent et créent un certain nombre de problèmes susceptibles de générer des
crises et des instabilités mondiales ; la formation y est imparfaite, les institutions de marché
fonctionnent mal, etc. Donc la contrepartie à mon action d'ouverture des marchés va être
d'essayer d'améliorer le fonctionnement de ce marché local particulier. En matière sanitaire
je suis pour la circulation des personnes à l'échelle mondiale mais je constate qu'il y a des
épidémies, des maladies endémiques dans les pays en développement ; s'il y a circulation
des personnes, ces endémies vont se développer. Il y a une importance stratégique à aller
travailler sur la réduction des endémies à l'échelle mondiale qui est liée à la libération des
mouvements de personnes, ça s'est donc l'aspect risques et préventions des risques.
Il y a un deuxième aspect qui intéresse particulièrement les pays du Sud : les problèmes
des préjudices commis envers les pays en voie de développement.
Ces préjudices peuvent être historiques, ils appellent réparation ou contemporains et
appellent composition. La théorie libérale est en très large partie une théorie des
réparations et des compensations en économie. Alors, pourquoi peut il y avoir réparation
ou compensation ? Prenons deux cas de figure: les régimes commerciaux ont été
historiquement extrêmement défavorables aux pays en voie de développement, tandis qu'au
contraire le protectionnisme marquait la période de croissance, croissance des pays
développés. Des historiens de l'économie comme Paul Bairoch font du caractère
dissymétrique des régimes commerciaux au XIXe siècle et au début du XXe, la
raison fondamentale des écarts de revenu entre les pays en voie de développement et les
pays industrialisés. Ce préjudice suppose donc réparation soit par une symétrie d'asymétrie,
c'est à dire qu'aujourd'hui il faut accorder des préférences commerciales sans contrepartie
aux pays en voie de développement ou cela peut se corriger par des transferts financiers qui
prennent la place d'une compensation, d'une réparation.
Il y a ensuite les compensations, par exemple, les régimes commerciaux aujourd'hui sont
particulièrement défavorables aux pays en développement dans la mesure où les marchés
agricoles des pays du Nord sont fermés ainsi que les marchés industriels d'un certain
nombre de produits. Nous pouvons penser aux textiles, à certaines branches de la
sidérurgie, à l'automobile etc. Il y a donc ces fermetures, alors que par ailleurs les pays en
développement qui adhèrent aujourd'hui à l'OMC sont soumis à un rythme d'ouverture de
leur propre marché qui est relativement rapide.
Nous pouvons donc dire qu'il y a là une dissymétrie importante et cette dissymétrie appelle
compensation qui doit être mise en œuvre par toute une série d'instruments dont l'aide
publique au développement peut faire partie.
Le troisième type est l'action d'accompagnement normative. La globalisation se traduit
par la multiplication d'institutions et de procédures internationales qui émettent des normes
de comportement ou de production. Ces normes de production parfois extrêmement
exigeantes ne peuvent pas être mises en œuvre dans le cas des pays en développement sans
un transfert technique et parfois un transfert financier.
Ainsi pour bien rester dans le domaine commercial, la mise en œuvre des accords
d'adhésion à l'OMC pour les pays en voie de développement représente un coût important.
Ce coût est relatif à la mise aux normes internationales des procédures douanières mais
aussi des procédures sanitaires.
Daniel Rodrigue, économiste américain libéral progressiste, lors de la conférence ABCDE de la
Banque Mondiale, posait la question dans un propos qui s'intitulait « le développement
international est-il soluble dans la libéralisation commerciale ? » de l'intérêt des pays en voie de
développement à s'ouvrir commercialement et à entrer dans l'OMC, non pas sur un problème
de principe mais sur une analyse coûts/avantages engendrés par les charges de l'accès ou de la
mise aux normes de leur propre commerce dans le cadre de ces nouveaux accords.
Il ne s'agit donc pas de quelque chose de théorique, mais d'extrêmement pratique. Nous
voyons bien qu'au fond, nous pouvons nous intéresser à l'élaboration d'un discours sur l'aide
publique au développement qui soit lié, qui cherche à justifier celle-ci comme étant un outil
d'accompagnement de la globalisation dans le domaine Nord-Sud et un outil d'intervention.
Outil de la promotion, de la compensation, de la répartition qui sont les rôles traditionnels des
politiques publiques dans un cadre de dysfonctionnement de marchés devenus globaux.
Alors venons en maintenant à quelques conséquences financières : si nous convainquons des
hommes politiques que ce discours est compréhensible, encore faut-il le rendre un peu plus
simple et un peu plus clair, la question suivante est : combien faut-il payer ? Quel doit être le
volume de l'aide publique au développement ? Traditionnellement nous avons répondu à cette
question dans une logique d'offre. Nous avons dit « l'aide publique au développement doit être
de 0,71% du PIB » « Pourquoi ? » « Parce que ».
Cette approche consiste à dire c'est ce que nous sommes près à payer pour un bien
public global qui s'appelle « la convergence des revenus pour la stabilité politique de la
planète… »,. Dans la réalité nous nous apercevons que les pays riches sont prêts à payer 0,3%
de leur PIB en moyenne pour avoir la paix internationale, c'est le prix de ce bien public.
Nous pouvons approcher le problème de manière différente en essayant, non pas de se poser la
question de « combien suis-je prêt à payer pour ce bien là ? » mais « quel est le besoin de
financement des biens publics qui sont identifiés ? » Là aussi il y a deux approches : « quel est
le coût de la convergence économique rapide? » et « quelle est l'addition des coûts de
financement des biens publics individuels que je suis capable d'énumérer, pour lesquels je suis
prêt à payer éventuellement, à supposer que j'ai l'argent, que j'ai le budget ? »
Sur la première question il y a des méthodes permettant de les chiffrer. Par exemple on
peut faire un certain nombre d'hypothèses sur le volume théorique de formation brute de
capital fixe d'investissement nécessaire dans les pays en développement pour atteindre une
croissance par exemple de 6% par an, croissance minimale que nous pouvons imaginer pour
créer un processus de convergence rapide.
Ensuite nous nous demandons quelle est la partie d'investissement public et privé nécessaire
pour atteindre ce chiffre et quelle est la part d'épargne extérieure nécessaire pour venir
abonder l'épargne intérieure.
Si nous faisons un calcul disant qu'il faut 6% de croissance, et que pour cela il faut environ
30% du PIB d'investissement, si nous nous disons que le taux d'épargne moyen dans les pays
en développement est de l'ordre de 15% des PIB, que la fiscalisation moyenne est d'environ
20% des PIB etc., nous nous disons que le flux d'aide publique au développement normal pour
atteindre un transfert financier public Nord-Sud qui peut prendre différentes formes devrait
être de plus de 300 milliards de dollars. Ce qui est à peu près huit fois le montant de l'aide
publique au développement actuelle.
Ce chiffre est à la fois surestimé et sous-estimé : surestimé parce que tous les pays en voie de
développement ne sont pas en mesure de recevoir un quota de ce type simultanément, il y a des
problèmes politiques, des problèmes de saturation, etc. De la même manière des pays en voix
de développement génèrent un niveau d'épargne intérieure supérieur à 15% (la Chine a un taux
d'épargne intérieure de l'ordre de 40% du PIB). Par ailleurs il y a sous-estimation car la
plupart des pays pauvres ont un taux d'épargne très inférieur à 15% du PIB et les besoins de
transfert sont très supérieurs.
Ce calcul indique quelque chose : Les volumes actuels d'aide publique au
développement mis en place sont très inférieurs à ce qui serait nécessaire pour créer des
dynamiques d'investissement de type convergence.
Alors une fois que nous avons dit cela, nous n'avons pas tout dit parce qu'il faut se poser la
question de pourquoi ces volumes sont inférieurs et pourquoi nous ne sommes pas prêts à
payer le prix de ce bien public.
Il existe une deuxième approche des volumes de financement qui consiste à dire
combien sommes-nous prêts à payer pour le climat ? Combien sommes-nous prêts à financer
les pays du sud pour qu'ils tiennent leur part dans une convention climat ? Combien sommes-nous prêts à payer la libéralisation du commerce extérieur dans des conditions qui soient
saines ? Donc combien veulent dire les transferts qu'il faudrait faire vers les pays en
développement pour que la mise en œuvre des accords OMC se passe dans de bonnes
conditions ? Combien faudrait-il mettre sur la table pour que les systèmes financiers des pays
en développement, les systèmes intérieurs soient à peu près sûrs et que l'ouverture des
comptes de capital se fasse dans des conditions qui soient à peu près décentes?
Nous raisonnons de la même manière sur la santé publique, puis nous pouvons
additionner toute une liste, et nous pouvons nous demander combien cela fait ?
Vraisemblablement ça fait beaucoup et comme nous ne sommes vraisemblablement pas prêts à
tout financer : quelle est la hiérarchie ? C'est ce qu'a évoqué Marc au début de ce débat.
Il y a donc un processus de rationalisation des choix budgétaires. Nous pouvons dire
cela ainsi, et se poser la question de ce que nous financerions et pourquoi. Tout ceci suppose
des cadres théoriques, des cadres de réflexion stratégique. Cette approche suppose des
modifications importantes de nature instrumentale, organisationnelle dans les appareils d'aide
au développement.
La première c'est que si les appareils d'aide au développement veulent jouer ce rôle et
trouver une raison d'être dans le débat mondial il faut que ces appareils d'aide au
développement soient capables de s'inscrire comme des acteurs dans la construction de la
mondialisation, et en particulier dans les négociations internationales.
Donc cela suppose que ces appareils d'aide au développement mettent au premier plan de leurs
préoccupations la construction politique.
Nous savons bien que la réalité n'est pas celle là. Historiquement nos appareils d'aide au
développement ont été très largement fondés sur les financements de projet. Ce qui a mobilisé
les équipes, les énergies, les passions, c'est la mise en œuvre d'opérations sur le terrain.
Dans cette optique il faut procéder à un renversement, mettre en place les outils de réflexion, de
conceptualisation qui permettent de dire ce que nous dépensons, où, et pourquoi ?
Il y a donc un effort d'investissement intellectuel stratégique à faire par la construction de
véritables systèmes de pensées dans les appareils.
Le deuxième type de conséquences est le développement de produits globaux qui nous
prend à contre pied dans nos métiers car dans les années qui viennent de s'écouler, la tendance
été le resserrement sur des opérations de terrain, l'élimination des programmes transversaux et
la construction de cadres géographiques supposés être créés, de cadres stratégiques ou
opérationnels devant rationaliser l'approche de l'aide au développement.
La mise en place de ces cadres stratégiques était nécessaire compte-tenu du vide stratégique
qui a longtemps régné dans les opérations. L'omniprésence de l'approche pays ou de
l'approche géographique a eu pour résultat d'éroder beaucoup la crédibilité de mise en place
d'un programme transversal.
Or il est clair que ces approches globales nécessitent un certain nombre de produits globaux
gérés globalement. Par exemple pour le SIDA, une des actions les plus importantes consiste à
financer la recherche de vaccins qui ne se fait pas à travers la distribution de l'enveloppe
géographique.
Si nous prenons chaque secteur l'un après l'autre nous allons trouver qu'un certain
nombre des outils à mettre en place sont du type fonds mondial de ceci, fonds mondial de cela
etc. Mais une fois que nous avons dit cela, nous n'avons fait qu'un tout petit pas car ces fonds
mondiaux de tous ordres posent de gros problèmes de gouvernance ; ce ne sont pas des fonds
faciles à manipuler et l'histoire de l'aide au développement est l'histoire d'un cimetière de
fonds mondiaux. Une réflexion sur la qualité de gestion de ces fonds, leur surveillance, leur
évaluation doit être faite sur une base complètement neuve.
Le troisième élément est le développement de produits globaux, gérés globalement.
Pourquoi dire cela ? Prenons le cas de la déforestation et de la désertification. Il est peu
vraisemblable que nous allons lutter dans ces domaines par un fonds mondial, mais plutôt par
des approches pays concrètes sur des territoires opérationnels. Nous allons également
approcher les questions de déforestation ou de désertification à travers des problématiques de
lutte contre la pauvreté.
Mais il est clair que si nous avons pour objectif la lutte contre la désertification, nous allons
essayer de suivre cette multitude de programmes de lutte contre la désertification pays par pays
à travers des indicateurs sectoriels transversaux et nous allons peut être commencer à nous
poser la question de savoir s'il ne faut pas donner des objectifs aux différents programmes pays
qui soient insérés dans une problématique globale. Nous allons créer des dispositifs de suivi de
telle sorte que nous allons essayer de suivre globalement des biens publics globaux gérés
localement. Ce type d'approches est très important car pour de nombreuses actions présentes
depuis très longtemps dans les portefeuilles d'aide au développement, nous venons de nous
apercevoir qu'elles contribuent à ces biens publics mais elles ne sont pas suivies, gérées comme
il le faudrait et donc nous allons nous poser des questions de construction de ces biens publics
globaux à partir de ces prestations locales.
Le quatrième et dernier point concerne les conséquences managériales. Elles ne sont pas
aussi anecdotiques que nous pourrions le penser. En effet si nous disons « l'aide publique au
développement doit être un instrument de gestion de la globalisation et doit traiter un des
instruments fondamentaux de gestion des relations Nord-Sud à travers la globalisation », nous
nous posons la question d'une mesure beaucoup plus stricte de ces impacts. En effet nous
n'allons pas donner de l'argent aux organisations de gestion de l'aide au développement,
publiques ou privées, que ce soient des ONG ou des organisations d'état, si elles ne sont pas en
mesure de faire la preuve de la contribution de leurs actions et de présenter un bilan
coût/avantage crédible pour les autorités publiques et les contribuables.
Nous pouvons donc faire l'hypothèse que ce développement des problématiques de la
globalisation intérieure de l'aide publique au développement va accroître la tendance que nous
constatons déjà depuis un certain nombre d'années, en terme d'impacts finaux sur les
situations sociales, sur les objets qui sont supposés financer, corriger, etc. Il faut s'attendre à
améliorer considérablement le système de mesure de performance et savoir lier les
financements des institutions à leurs performances.
Il existe beaucoup de contradictions stratégiques dans les relations entre problématique des
biens publics globaux et lutte contre la pauvreté. Il y a beaucoup plus de convergences
opérationnelles que nous pourrions l'imaginer. Quand nous prenons chaque objet l'un après
l'autre nous pouvons très souvent réconcilier les approches mais nous ne pouvons le faire qu'au
prix d'un abandon de la thématique de la pauvreté comme thématique générale, comme
justification fondamentale de l'aide au développement à moins que nous disions que cette
thématique de la pauvreté veuille dire en fait assurer la convergence des revenus à l'échelle
globale. Si nous parlons plutôt des inégalités à l'intérieur des pays en développement, de la très
grande pauvreté de la concentration sur les pays les plus pauvres de la planète alors nous
parlons de quelque chose d'autre que de la production des biens publics à l'échelle mondiale et
des rapports Nord-Sud, nous parlons d'une sous-catégorie de cette problématique mais pas de
la totalité de l'objet.
Il y a également beaucoup de discussions sur le concept de projet et sur l'articulation entre les
politiques et les projets. Le succès de l'aide au développement n'a jamais été constitué par
l'addition de l'aide au développement et d'une certaine manière il n'y a pas plus trompeur que
cette approche par les projets qui nous remplit souvent de satisfactions en tant qu'opérateur
mais qui par les misères que nous cause le principe de fongibilité, par les problèmes que nous
posent les questions de sélection de projet dans des univers stratégiques incertains, nous
aveugle beaucoup.
Il ne peut pas y avoir de salut de l'aide publique au développement et en tout cas de réinsertion
dans les préoccupations planétaires sans une montée en gamme très importante de la réflexion
stratégique mais aussi de l'ensemble de la conception opérationnelle de l'aide. C'est peut-être là
la révolution la plus fondamentale à laquelle la baisse des volumes de l'aide nous contraint.

M. LEVY :
Merci Jean-Michel Sévérino, je pense que vous avez suscité beaucoup d'échos pour les
uns et pour les autres, quelles que soient nos positions quant aux enjeux de changement qu'il y
a derrière ces notions. En tous cas, cela fournit suffisamment de matière pour que nous
puissions maintenant débattre ensemble.

Y. JADOT (SOLAGRAL) :
Trois remarques par rapport aux diverses interventions faites qui me paraissent dresser
parfaitement le champ des biens publics et leurs enjeux.
La première c'est que l'intervention publique a la charge de la preuve. Pendant très
longtemps nous avons considéré que le marché devait prouver qu'il était plus efficace,
aujourd'hui c'est l'intervention publique qui a la charge de la preuve et nous sommes tous
soumis à cela. Cette preuve nous la donnons en partie grâce au champ académique mais aussi
d'un point de vue politique.
Deuxièmement, ce n'est pas parce que les biens publiques globaux légitiment un certain
nombre d'interventions publiques qu'il s'agit d'un outil de conservation. Il paraît aujourd'hui
important de bien prouver que c'est un outil de réforme.
Lorsque nous voyons dans la négociation internationale comment ce type d'outil peut être
utilisé, par exemple pour le concept de multifonctionnalité de l'agriculture, nous remarquons
qu'il y a des aspects de biens publics dans certaines fonctions non marchandes de l'agriculture,
que ce soit l'environnement, le social, nous voyons aussi que cela peut être utilisé comme un
instrument extrêmement conservateur, en partie contraire à l'idée même de bien public global.
De ce point de vue il faut en faire un outil de réforme et continuer à faire de la recherche sur
cette question.
Le troisième point concerne la place des pays en développement. C'est un élément clé
du débat sur les biens publics. Le commerce est le vecteur par lequel tout est censé passer :
pour les pays du Nord c'est en partie un vecteur de valeurs : nous entendons un peu que c'est
grâce au commerce que la démocratie rentrera et que les questions sociales ou des Droits de
l'Homme seront davantage prises en compte.
Pour les pays en développement, il s'agit d'un vecteur de développement et leur refus d'ailleurs
de parler social ou environnemental dans la négociation commerciale relève bien de cette idée
qu'ils ont droit au développement et que le commerce en est le principal vecteur.
Dans cette évolution il est important de rappeler la question de la dissymétrie, les pays en
développement ont largement libéralisé dans un contexte unilatéral sous les ajustements
structurels dont l'évolution relève maintenant du champ de la conditionnalité.
D'un autre côté les pays développés se sont libéralisés dans un contexte multilatéral en
négociant concession contre concession. Dans le même temps nous créions de la gouvernance
internationale via les conférences des Nations Unies, mais nous pouvons préciser aussi qu'en
dépit de Rio, Rome, Pékin, Istanbul, Le Caire, il y a malheureusement toutes ces conférences
qui étaient censées discuter de biens publics globaux et qui n'ont été suivies de quasiment aucun
effet, notamment en terme de transferts financiers du Nord vers le Sud et finalement la
crédibilité de la discussion internationale sur la gouvernance et sur les biens publics globaux est
aujourd'hui assez faible.
D'ailleurs il a été assez clair de voir que finalement lors de l'accord du GATT de Marrakech, ce
sont les pays du Nord qui offrent un peu de libéralisation commerciale classique contre une
libéralisation aujourd'hui en pointe : la libéralisation des normes. Les pays du Nord ont dit aux
pays du Sud « nous libéralisons mais vous acceptez aujourd'hui des normes qui sont discutées
et élaborées au nord ».
La place des pays en développement paraît très importante, et bien sûr aussi la question de la
mise en œuvre de ces biens publics globaux. La question est claire lorsque nous parlons du
travail des enfants. Que sommes-nous prêts à donner en compensation aux familles pauvres
pour que les enfants n'aillent plus travailler ? Cela a un impact très direct sur l'aide publique au
développement, si nous ne prenons pas suffisamment en compte cette question des pays en
développement, nous risquons pour eux non pas d'apparaître seulement pour légitimer les
0.3% qui restent, mais nous risquons d'apparaître comme une nouvelle forme de
désappropriation des stratégies de développement et des outils qui les servent.

A. SINDZINGRE (CNRS) :
Dans un document de 1996 quelqu'un a ajouté une petite brique à la définition des
biens publics internationaux. Parmi les deux exemples caractéristiques de bien public
international nous devons ajouter la connaissance globale mais aussi la conditionnalité.
Paul Collière disait que le gros problème des pays en développement est leur déficit, ce qu'il
appelle des agences de restriction, de discipline etc. Leur grand problème est de souffrir d'un
déficit de crédibilité vis-à-vis des investisseurs internationaux. L'avantage comparatif des
institutions multilatérales est de fournir cette crédibilité en tant que bien public international
dont les pays en développement manquaient comme le système de Bretton Woods.
Si nous parlons de politique, si nous réintroduisons le politique, alors de quel type de
gouvernance globale au niveau concret dispose-t-on, sachant que nous disposons de ces deux
pôles : leadership d'un côté, peu démocratique ; mais de l'autre côté peut être plus de
démocratie mais des risques d'intérêts antagonistes.
Un certain nombre d'ONG européennes ont récusé le terme de biens publics internationaux,
terme qui évacue complètement une dimension importante, celle de l'éthique.

J.-P. VOYE (secrétaire général de la commission française pour l'UNESCO) :
Le débat sur les biens publics mondiaux doit se faire à l'ONU et au sein des agences
spécialisées des Nations Unies : dans la mesure où cette problématique se situe au cœur des
domaines de compétence de l'UNESCO et d'autre part parce qu'il y a eu récemment un certain
nombre d'avancées intéressantes à l'UNESCO tout d'abord sur le thème de la diversité
culturelle.
Cette problématique a déjà fait son chemin, l'UNESCO est sans doute un lieu de débats
important, tout d'abord parce que c'est au fond l'agence intellectuelle des Nations Unies, le lieu
de dialogue Nord-Sud , et c'est une organisation qui a une action normative importante. Il y
aurait sans doute un intérêt pour la DGCID de prendre en compte cela. Se pose la question de
l'efficacité des normes posées au sein de l'UNESCO, mais là aussi cela dépend de l'engagement
des Etats membres.

S. MAPPA (Forum de Delphes) :
D'après le diagnostic de Monsieur Tomasi nous allons de plus en plus vers des
situations de convergence notamment au niveau politique. Ce diagnostic est-il correct ? Peut-on
parler de démocratisation lorsque nous voyons la criminalité du politique et de l'économique
gagner du terrain au niveau planétaire, surtout dans les pays du Sud ? Nous pouvons être
solidaires avec les pays du Sud sans prétendre, ou prendre comme réalité quelque chose qui
n'est pas, et dire que nous pouvons être solidaires parce que cela nous intéresse qu'il y ait des
biens publics au niveau planétaire.
Deuxièmement est-ce que la définition que nous donnons des biens publics est partagée
par la théorie et la pratique des autres sociétés de la planète ? Où en sommes-nous en matière
de théorie et de pratique des biens publics au niveau européen ? Car si nous voulons élaborer
des normes au niveau planétaire, nous ne pourrons pas le faire si elles sont ignorées par les
trois-quarts de la planète. Donc comment élaborer des normes et à travers quels processus
convaincre d'autres sociétés, à commencer par nos propres sociétés, du bien fondé d'une
adhésion à l'idée de la nécessité des biens publics. A propos de la santé, nous avons sur tous les
plans des dissymétries culturelles extraordinaires : la santé et la guérison en Afrique ou en
Amérique Latine n'ont pas la même signification que la santé et la guérison chez nous.
Je partage la préoccupation et le constat qu'il nous faudrait changer de stratégie concernant la
politique d'aide. Il faut arrêter surtout de dissocier les politiques globales économiques de
l'occident et les politiques de l'aide. Cela veut dire qu'il faut savoir comment les politiques
économiques globales nuisent aux pays du Sud et rentrer dans un chemin un peu plus rationnel
qui ne pose pas seulement la question du changement des autres, mais dans quelle mesure nous-mêmes nous pourrions changer, nous réformer réparativement pour que les autres ne soient pas
écrasés complètement.

G. WINTER (ancien directeur général de l'IRD):
Je suis d'accord pour dire qu'il faut abandonner comme justification de l'aide publique
au développement une conception caritative ou palliative en terme de lutte contre la pauvreté. Il
faudrait partir de cela pour remonter à une approche plus globale. Cela n'est pas très difficile si
nous savons que lutte contre la pauvreté ne peut pas aller sans lutte contre les inégalités internes
et que les inégalités internes vont souvent de paire avec des inégalités internationales, lesquelles
débouchent sur l'aide publique au développement et sur une approche en terme de biens publics
globaux.
Il ne s'agit donc pas de dire «maintenant en France nous ne parlons plus de pauvreté, nous en
avons parlé pendant quelques mois, nous allons maintenant parler des biens publics globaux,
c'est cela qui est intéressant». Il faut rentrer dans le débat international sur la pauvreté et le faire
remonter via les inégalités internes et externes aux biens publics globaux.

L. OSTUZI (expert éducation de base auprès de la commission pour le
programme Méda)
Actuellement il y a un grand débat à l'occasion récente de la réforme sur l'éducation de
base. Entre la conférence de 1990 et la conférence de Dakar sur l'éducation pour tous, il n'y a
pas eu d'évolution très nette dans l'éducation dans le monde, notamment pour les enfants et
pour les femmes.
Pour l'éducation, dans le programme Méda, il y a eu un effort extraordinaire : plus de 40% du
budget de Méda1, c'est à dire plus de 4 milliards d'euros ; pour Méda2, plus de 5 milliards. Ce
qui n'est pas négligeable, mais il y a actuellement un risque de dérive.
M. Sévérino a parlé à juste titre de l'inefficacité de l'approche projet, ce que la Commission
appelle maintenant le projet classique. Nous avons ensuite parlé d'ajustement sectoriel.
Maintenant nous parlons de politique d'appui sectoriel, c'est-à-dire que nous allons passer du
projet avec une assistance technique où les opérateurs s'engageaient pour longtemps, à des
aides budgétaires directes. Il y a là un danger car nous nous éloignons du sectoriel et les aides
budgétaires directes vont être gérées par les économistes.
Comme certains membres font pression pour des décaissements rapides nous allons engager par
exemple au Maroc, 100 000 000 d'euros pour l'éducation de base qui vont être injectés dans les
finances publiques. Je doute fort que les enfants berbères des villages montagnards en voient la
couleur. Alors que pensez-vous de ce passage d'un instrument à l'autre qui se fait sous le
prétexte de l'ownership et de la réduction de la pauvreté ?

(interlocuteur non-identifié) :
Le débat que nous avons vu à la DGCID entre coopération-développement et coopération
d'influence s'est apparemment calmé. Lorsque nous considérons par exemple le système de
protection sociale comme un bien public, il est clair que si nous, français, nous voulons
participer à un certain type de production de biens publics mondiaux, c'est bien une certaine
influence française ou européenne que nous allons chercher à maintenir sur un sujet crucial, plus
porteur à long terme que le soutien direct de l'intérêt économique français par exemple.
Si la conception aujourd'hui d'un bien spécifique est de dire que nous sommes plus intéressés à
maintenir un équilibre entre l'exploitation humaine de la forêt et le patrimoine naturel, plutôt
qu'une approche strictement préservatrice, c'est bien aussi une conception politique spécifique,
bien française que nous entendons défendre.
Il me semble que l'approche BPM de ce point de vue a le mérite de nous faire prendre du recul
et en même temps de montrer les vraies urgences.

J. DEBOSE :
M. Sévérino nous a dit qu'il ne fallait plus considérer la lutte contre la pauvreté comme
l'objectif central de l'aide au développement. En effet à long terme l'aide au développement
doit avoir pour effet une convergence économique entre les pays riches et les pays pauvres de
façon à supprimer la notion de pays sous développés. Cela prendra du temps, à long terme la
création de biens publics mondiaux améliorera sans doute la prospérité générale mais entre
temps que faire ? Il faut bien empêcher les pauvres de mourir de faim ou alors faut-il envisager
un partage des responsabilités entre l'aide publique au développement qui viserait le long terme
et une aide privée de la part des ONG ou autres qui chercheraient entre temps à panser les
blessures et aider les gens à survivre ?

L. TUBIANA :
Premier groupe de remarques : Il s'agit d'une nouvelle conditionnalité, ce sont tous des
biens publics globaux à travers les différents sujets et les types de gouvernance qu'ils
réclament, c'est une nouvelle adaptation des conditionnalités pour que les pays en
développement rentrent dans la norme.
Cela n'est qu'un avatar nouveau de l'ajustement mais cette fois non plus sur l'efficacité du
marché, sur les défaillances du marché, qu'elles soient locales ou globales. Où est
l'appropriation des politiques de développement, où sont finalement l'autonomie,
l'appropriation véritable ? Est-ce que nous ne sommes pas dans une nouvelle conditionnalité ?
Il s'agit d'une mise aux normes d'économies plus ou moins bien intégrées à l'économie
mondiale. C'est l'encadrement de la mondialisation qui est en train de s'opérer et cette
mondialisation est d'une manière ou d'une autre une mise aux normes. Si nous reprenons les
concepts des économistes de la régulation, c'est bien une mise aux normes sur un certain type
de santé, de croissance, non pas une norme spécifique, mais la discussion des normes
nécessaires.
Ce n'est pas un hasard si la théorie des biens publics peut trouver sa place dans la théorie
économique. Le leadership du cadre économique dans la réflexion globale sur la mondialisation
n'est pas contesté par la notion des biens publics, elle complète puisqu'elle est au cœur de la
notion de défaillance.
La mondialisation est en cours, la question n'est pas de savoir comment nous pouvons vivre en
dehors des normes, mais comment ces normes sont-elles discutées et produites, quelle est leur
source, leur légitimité, comment sont-elles représentées ?
Quel est le type de gouvernance dans ces intérêts antagoniques ? Il y a au fond deux modèles,
Bretton Woods avec le leadership et le modèle de légitimité : Un pays, une voix des
Nations Unies. Ce que nous sommes en train d'observer sur la majeure partie de la production de
normes internationales n'est pas pour l'instant du côté du modèle
Nations Unies, non plus du
côté de l'efficacité de Bretton Woods dont la production de normes est contestée.
Dans ce sens, ces biens publics globaux sont gérés par des « clubs » plus ou moins larges : club
du climat, de la libéralisation commerciale. Tous les pays ne sont pas a priori obligés d'adhérer
à l'OMC. Ce n'est d'ailleurs pas comme cela que la libéralisation a été instrumentalisée mais à
travers des négociations bilatérales avec des institutions financières.
Entrer dans le club de l'OMC signifie que nous avons une part dans la négociation. L'origine de
l'échec de Seattle est dans le fait que nous n'avons pas trouvé de consensus et que le modèle
n'est plus un accord commercial euroaméricain imposé aux autres. Le modèle de type
hégémonique ne fonctionne pas. Au contraire, nous assistons à une irruption de normes
d'origines différentes, d'acteurs minoritaires qui s'appuient sur ces enceintes internationales où
des normes sont négociées pour faire valoir les leurs.
Prenons l'exemple des peuples indigènes et les droits de propriété intellectuelle. Dans la
convention sur la biodiversité, l'essentiel repose sur l'idée de souveraineté des Etats sur les
ressources. Les peuples indigènes ont fait reconnaître avec beaucoup de succès depuis 1994 le
fait qu'ils aient leurs propres normes, leur propre vision de ce qu'est un droit de propriété sur
les ressources et de ce qu'est une gestion durable des ressources de la biodiversité.
Aujourd'hui le principal caillou dans les souliers des négociateurs sur les droits de propriété
intellectuelle au plan international vient des peuples indigènes. Si nous reconnaissons leur rôle
spécifique dans la conservation d'un bien public global, alors il faut reconnaître leurs pratiques
spécifiques et leur manière de faire, qui sont des formes juridiques particulières à reconnaître. Il
est contradictoire de vouloir les éliminer via une norme homogène, celle des droits de propriété.
Pauvreté ou pas, les biens publics sont-ils une forme de condamnation de l'effort récent de la
coopération française de travailler enfin sur un sujet majeur ?
Nous sommes fondamentalement d'accord sur la révision de la coopération mais cela nous
permet aussi de revoir la manière dont nous réfléchissons la lutte contre la pauvreté dans la
coopération française.
Si nous réfléchissons sur la question de la gouvernance, le lieu de production des normes, la
hiérarchie entre les biens publics locaux et globaux, nous avons un outil pour penser la lutte
contre la pauvreté dans les réflexions d'organisations comme le Secours Catholique ou ATD
Quart Monde, sur les questions de démocratie et de droit d'accès à l'information, droit de
parole des marginalisés dans les sociétés développées.
Nous rejoignons là la question de la révision des politiques de développement sur la base d'une
appropriation, à condition que les conditions de gouvernance qui président à la production de
ces normes soient réglées. Plus que la substance de la norme qui est produite dans ces accords,
il est aujourd'hui encore plus important de réfléchir sur l'équité de la procédure en œuvre pour
les produire.

J.-M. SEVERINO :
Quatre idées m'ont particulièrement interpellé.
La première est relative aux questions d'éthique et de théories économiques. Comment
remettre l'aide publique au développement sur la table des décideurs publics mondiaux et la
sauver de son naufrage financier ? Qu'est-ce qui intéressera le président des Etats-Unis, le
président de la République française, le Premier Ministre allemand etc. dans l'aide publique au
développement ?
Mon hypothèse de départ est que si nous raisonnons sur des termes caritatifs, nous sommes de
plus en plus marginalisés. Si nous croyons qu'il y a des sujets importants de solidarité
internationale dont nous pouvons débattre, il faut trouver des approches qui dépassent la
dimension du cœur, aussi importante, légitime, cruciale soit-elle pour notre propre conscience.
Aujourd'hui une des choses qui intéressent les décideurs est le sort global de l'humanité, pas
seulement celui des pays pauvres, il faut donc démontrer en quoi le sort des pays pauvres est
crucial pour le sort de l'humanité.
Une deuxième chose est importante, l'utilisation du langage de l'idéologie dominante. Pendant
très longtemps le langage de l'idéologie dominante a été plutôt marxiste, aujourd'hui ce langage
emprunte à la théorie libérale, aux règles du marché.
Comment se faire entendre et comment essayer d'élever le niveau d'intérêt d'une politique
globale dans une communauté politique ?
Si nous prenons comme point de départ que le langage de l'économie libérale est aujourd'hui le
langage dominant dans la philosophie libérale, cette philosophie libérale étant une certaine
éthique, c'est une théorie qui pose comme prémices que la valeur suprême est la liberté et que la
seule barrière que l'on puisse opposer légitimement à la liberté d'un individu c'est la liberté d'un
autre.
Tout n'est que déclinaison de ces deux principes dans une multitude de conséquences
extrêmement concrètes. Les penseurs libéraux abordent la question de l'organisation sociale à
travers la mythologie due au contrat social fondamental.
Il y a toute une tradition de la pensée libérale sur les contrats sociaux, les plus célèbres sont
celles de Rousseau, et de Rawles dans la fin des années 70, qui à travers la théorie de la justice
exprime une nouvelle forme du contrat social qui puise dans la théorie classique.
Cette approche du contrat social part de l'idée que "si la société n'existait pas et si nous étions
dans l'étape qui précède immédiatement la création de la société, le Big Bang, quelles seraient
les règles auxquelles nous accepterions de nous soumettre sachant que la distribution à
l'intérieur de la société en termes de dotations intellectuelle et financière est aléatoire ?"
Nous avons tous le même risque d'être le premier ou le dernier en terme d'intelligence ou en
terme de revenu ; sachant cela, que considérerions-nous comme règle juste pour organiser la
société ? Nous déclinerions tout un nombre de règles auxquelles nous serions tous prêts à
adhérer si nous étions dans la seconde qui précède la création de la société.
Les inégalités ne peuvent pas être telles qu'elles nuisent à l'égalité des chances. L'inégalité est
légitime parce qu'elle reflète la variation des talents et la variation des énergies. Si elle devient
telle que les écarts des inégalités sont tellement importants qu'à chaque génération les cartes ne
puissent plus être rabattues, alors là société n'est plus libérale, elle n'a plus de constitution.
L'inégalité n'est ni bien ni mauvaise, mais l'approche des phénomènes économiques dans la
théorie libérale est une approche amorale et cette question que nous pouvons poser à la société
nationale se pose également à la société internationale. A partir de quel moment les inégalités
entre nations sont-elles tellement importantes qu'elles empêchent les plus pauvres d'avoir une
chance de devenir riches ?
C'est la question libérale fondamentale posée aux inégalités de revenus sur la planète et à la
question du développement. Il y a donc un fondement libéral à l'intervention publique
internationale et l'aide au développement peut avoir sous ces conditions une justification
intéressante.
Ce qui est intéressant dans le contexte de la collectivité académique c'est la capacité d'exprimer
l'enjeu de l'aide au développement dans ce type de démarche compris par une vaste gamme de
personnes qui ont fait leurs études à Yale, Chicago, Harvard.
Pourquoi ces types de raisonnements amènent à traiter de façon amorale des biens qui peuvent
sembler au contraire très éthiques ? Prenons notre exemple de la culture, notre interlocuteur de
la Commission de l'UNESCO disait "la culture n'est pas un bien comme un autre". D'une
certaine manière, pour un libéral, la meilleure façon d'approcher le problème est de dire que la
culture est un bien comme un autre.
Pourquoi la culture est un bien qui fonctionne mal sur le marché? Pourquoi y a-t-il problème
libéral ? Pour trois séries de raisons :
1- Dans une économie globalisée, avec des industries de la communication et de
l'information constituées de telle manière que nous voyons d'énormes investissements,
une convergence des industries de contenu et de contenant, il y a des effets de
monopoles naturels très importants. Beaucoup d'industries de la communication sont
des industries dites à monopole naturel parce que les rendements marginaux sont
croissants. C'est une situation classique qui appelle intervention publique au titre de lutte
contre les monopoles, législation antitrust et régulation de la concurrence.
2- Il s'agit d'un domaine à externalités. Tous les pays anglo-saxons jouissent d'un bénéfice
extrêmement important, celui de s'exprimer dans leur propre langue, l'anglais étant à la
fois langue nationale et langue de communication, alors que les pays non anglophones
sont obligés de consentir un effort d'investissement et d'apprentissage linguistique. Cela
représente une externalité négative pour tous les pays non anglophones, et cela suppose
compensation dans une optique purement libérale. L'application de ce principe permet
d'aller très loin dans un attirail de discussions internationales, en particulier de demander
aux pays anglo-saxons de nous rembourser le coût de l'apprentissage de leur langue
dans notre propre enseignement secondaire.
3- La théorie de l'information : La production d'informations à l'échelle internationale est
concentrée dans les mains de trois grandes agences de presse : Reuters, Associated
Press et LifeP. Le fait que seules quelques chaînes mondiales assurent l'information est
un problème qui s'analyse en terme d'asymétrie dans les productions d'informations, et
s'il y a un fondement assez solide, à partir de la prévention de l'information en tant
qu'outil fondamental de bon fonctionnement des marchés.
Nous pourrions multiplier les exemples d'approche des phénomènes de la culture, de la santé à
partir de ce même genre de constatations. Ce qui touchait au fond une réalité humaine
dramatique c'est qu'il y a aujourd'hui cinq milliards de personnes qui vivent dans une situation
de pauvreté abominable. Le tout est de trouver le bon discours qui mobilise la communauté
internationale et les décideurs finaux autour d'un projet qui crée des conséquences.
Le deuxième point concerne la question de l'éducation primaire qui est absolument
fondamentale. L'une des raisons économiques fondamentales pour lesquelles il faut faire de
l'éducation, c'est que c'est ce qui explique l'absence de convergence des revenus et des
économies.
Il y a une résistance en France à l'abandon de la notion de projet, en tout cas à son recadrage,
qui est dommageable à la coopération française et à son efficacité. Si les projets marchaient cela
ferait longtemps que nous le saurions et que l'aide publique au développement aurait rencontré
des impacts plus importants que ceux constatés sur le terrain. Il est clair que les projets sont
affectés de multiples problèmes.
Toutes les agences de développement sont en mesure de sélectionner dans les pays une série de
projets au top niveau, qui vont réussir. Ces projets vont masquer tous ceux qui échouent, ils
vont masquer les politiques sectorielles désastreuses.
Les projets ne sont pas une réponse au problème de la fongibilité des ressources. De même que
nous savons que lorsque nous mettons de l'aide publique au développement dans un pays, même
si cette aide est extrêmement contrôlée, si il y a par ailleurs une fuite des capitaux dans le pays,
cela revient à alimenter la fuite de capitaux. De la même manière financer des projets dans un
pays qui gère mal son budget, qui a une mauvaise politique dans le même secteur ou même dans
d'autres secteurs revient à gâcher son argent.
Il faut en terme de conséquences, abandonner complètement la notion de projet. Il existe toute
une série de cas où il n'y a pas d'autre alternative mais si nous nous contentons de rester collés
au principe de projet nous manquons le grand chantier d'amélioration de l'efficacité de l'aide
publique au développement de la décennie.
Les instruments nouveaux d'aide budgétaire ont leur perversité et leurs limites. Le problème est
de voir les coûts et les défaillances de cet instrument là par rapport aux coûts et aux défaillances
d'autres instruments. Ces instruments de politique sectorielle, de financement, ont des
défaillances qui sont sans doute inférieures à la plupart des pratiques que nous avons eues
jusqu'à présent mais il ne faut pas refuser dans ces nouvelles pratiques les problèmes des
nouvelles.
Le troisième point concerne le problème entre pauvreté et biens publics globaux. Il y a une vraie
contradiction et il ne faut pas se la masquer. Plutôt que de faire un long discours je vais essayer
de vous l'illustrer à partir du dilemme budgétaire dans lequel mon successeur à la Banque
Mondiale est enfermé.
A la charge de la région Asie de la Banque Mondiale, il a un budget qui décline d'environ
15 %.
Il sort d'une grande crise dans laquelle on a placé beaucoup d'argent pour stabiliser la situation
de pays à revenus intermédiaires et de pays émergeants importants. Personne ne peut nier que
cette stabilisation des pays à revenus intermédiaires était un enjeu considérable en terme de
développement et n'avait pas des impacts absolument considérables sur les pays les plus
pauvres avoisinants. Ce qui s'est passé dans la région, au Vietnam, au Cambodge, au Laos était
la conséquence directe de ce qui se passait en Thaïlande, en Malaisie, en Indonésie ou même en
Corée.
Stratégie de la Banque Mondiale, alignement sur la pauvreté, que fait mon successeur ?
Confronté à son dilemme budgétaire il se dégage de Thaïlande, de Corée, de Malaisie, il réduit
ses engagements sur l'Indonésie et il se concentre budgétairement sur les pays les plus pauvres
de la région, soit le Vietnam, le Cambodge, le Laos, quelques îles du Pacifique, en partie
l'Indonésie et les zones pauvres de Chine. Théorie de la pauvreté, il va mettre son argent dans
ces pays, d'abord sur le cadrage macroéconomique, puis sur des programmes sociaux,
d'éducation, de la santé etc.
Maintenant qu'est ce qui ne va pas être financé ? La surveillance macroéconomique et la
stabilité des pays à revenus intermédiaires de la région, les systèmes financiers des pays à
revenus intermédiaires dans lesquels la Banque Mondiale ne cesse d'intervenir et dont nous
savons qu'ils sont la source d'instabilité majeure et de contre performances économiques pour
l'ensemble de la région y compris les pays pauvres.
Qu'est ce qui disparaît également des portefeuilles ? Toutes les actions à l'intérieur des pays
pauvres qui ne sont pas strictement orientées vers la lutte contre la pauvreté. Par exemple, il y
avait des grands programmes sur la dépollution industrielle en Chine qui ont consommé des
centaines de millions de dollars, ces programmes sont tous passés à la trappe car ils ne sont plus
dans la définition stratégique.
Ce n'est pas incohérent, c'est simplement une autre approche et nous ne pouvons pas dire «
cette approche est convergente, il n'y a pas de dilemme ». Il y a un dilemme et nous ne
finançons pas les mêmes choses.
Alors est-ce que cela veut dire que tous les projets de pauvreté passent à la trappe lorsque nous
avons une approche de biens publics globaux ? Non car les problématiques d'inégalité rentrent
dans les corrections des biens publics globaux. Certaines questions d'environnement sont à la
fois des questions de pauvreté et des questions d'environnement.
Il est clair que si nous intervenons sur les problèmes de conservation du couvert forestier au
Vietnam, nous sommes dans la plupart des cas dans une problématique de pauvreté. Si nous
voulons intervenir sur la diminution de la production de carbone, nous sommes sur des
problématiques industrielles qui ne sont pas des problématiques de pauvreté. Donc il y a des
recouvrements entre ces deux zones, et il peut être intéressant d'explorer ces recouvrements et
de savoir ce qui converge, mais il y a aussi des divergences.
Alors lorsque nous sommes dans des périodes d'expansion budgétaire, nous pouvons tout faire
à la fois, et quand nous sommes dans des périodes de ressources extrêmement limitées ou des
périodes de décroissance de coupe budgétaire, nous sommes confrontés à des choix et là
l'identification de ce que nous voulons faire est très importante.
Donc nous ne sommes pas dans le domaine de la théorie, nous sommes dans le domaine du réel
et la transmission de l'impulsion est là. Il faut que nous explorions ensemble davantage ces
zones de convergence et ces zones de divergence, faute de quoi nous allons tomber dans une
espèce d'unanimisme facile, et nous continuerons à ne pas savoir ce que nous faisons
exactement.

Y. JADOT :
La question n'est pas forcément de savoir s'il doit y avoir un arbitrage au sein de la
Banque Mondiale, la surveillance macro, la surveillance des systèmes financiers et la lutte
contre la pauvreté. Ce qui est important dans cette histoire des biens publics globaux est que
cela ne passera évidemment pas par l'APD car sinon aujourd'hui nous sommes coincés.
Si l'intégration des pays en développement dans la question des biens publics passe seulement
par l'APD nous sommes coincés car ce n'est pas forcément à la Banque Mondiale d'assurer la
stabilité financière internationale. Donc l'arbitrage ne se fait pas forcément ainsi. Nous pourrons
évidemment créer d'autres institutions qui ne seront pas non plus démocratiques et qui auront
en charge la gestion de ces différents biens publics.

Serge TOMASI :
Yannick Jadot a dit qu'aujourd'hui un des problèmes est que la charge de la preuve
pèse sur l'intervention publique alors que dans le passé il en était autrement. C'est une affaire
de point de vue. Du point de vue des Etats-Unis, la charge de la preuve a toujours été sur
l'intervention publique et du point de vue de la théorie classique et non classique, la norme est
le marché, l'intervention publique étant l'exception.
L'approche des biens publics globaux s'inscrit complètement dans une approche théorique
classique ou néoclassique, qui malheureusement ou heureusement est la norme ou le dogme
aujourd'hui, mais elle permet de relégitimer l'intervention de la puissance publique dans ce
cadre conceptuel que nous avons tous plus ou moins accepté et qui est la norme sur le plan
international.
Deuxièmement les conférences onusiennes ont permis de faire émerger cette idée d'un
destin commun de normes à partager, à définir en commun. Mais effectivement il y a un vrai
problème qui se pose, celui des transferts financiers et les pays en développement n'arrêtent pas
de nous le répéter chaque fois qu'il y a une nouvelle conférence internationale. C'est une
question qui me semble utile aujourd'hui et à laquelle il va falloir répondre.
Nous y répondons parfois sur le sujet du travail des enfants. Par exemple l'UNICEF mène des
programmes en Amérique Latine et donne de l'argent aux familles pour compenser la perte du
revenu du travail d'un enfant et les inciter à ce qu'il réintègre l'école.
Il y a le problème de la question du pollué payeur. L'aide publique au développement doit
permettre aux pays en développement d'accepter ces normes et de se repositionner dans ce
débat. C'est un sujet central pour les Nations Unies.
Les Nations Unies font face à la crise de leur système opérationnel de développement. Est-ce
qu'il ne faudrait pas que les Nations Unies se focalisent sur la définition des normes, sur les
débats politiques et laissent à d'autres notamment aux institutions de Bretton Woods, l'activité
de développement ?
Nous nous sommes beaucoup battus à New York pour contrer cette thèse parce que la
légitimité d'une institution comme les Nations Unies est de se contenter de définir des normes.
Si nous voulons entraîner les pays en voie de développement vers ces normes il faut les aider à
compenser la charge financière, le coût social, le coût politique de la mise aux normes. Donc
pour les Nations Unies c'est un débat assez central et malheureusement les états membres sont
toujours réticents à assumer le coût de ces transferts financiers.
Sur la question de la conditionnalité, il y a d'un côté l'approche théorique et puis l'expérience
pratique. Il y a eu quinze ans d'ajustements structurels où la logique était vraiment celle de la
politique d'ajustement structurel : rétablir les grands équilibres à la base pour permettre un
retour de l'investissement. Le résultat aujourd'hui c'est que l'Afrique subsaharienne représente
2% du commerce mondial, 4% des investissements directs étrangers, donc c'est un échec.
Ce n'est pas un échec dans tous les cas mais il faut beaucoup mieux cibler la conditionnalité. La
conditionnalité paraît légitime sur des gros pays, quand la Banque fait des prêts à la Chine ou à
la Russie qui représentent des risques systémiques pour le système international, mais pour des
petits pays en Afrique comme le Bénin et le Burkina Faso, c'est un outil qui n'est pas approprié
et le seul moyen de donner la crédibilité à ces pays est vraiment qu'ils s'approprient leur
stratégie de développement.
C'est à mon avis la grande césure entre l'approche du PNUD qui a plein de faiblesses mais qui
travaille sur une relation de confiance avec les pays, essaye de créer un débat, un consensus
social autour de la stratégie de développement et l'approche de la Banque, en tout cas telle
qu'elle était car il semble qu'il y a eu des évolutions de la conditionnalité au début des années
90.
|