Un
phénomène mondial Tous les pays de la
planète coopèrent, dans tous les domaines. Sciences, techniques, technologies, culture,
la coopération touche l'ensemble des champs de connaissance et des registres de la vie
sociale. C'est un mouvement d'une formidable ampleur qui entraîne une circulation
toujours plus active de personnes, de capitaux, de biens et d'informations.
Cette réalité nouvelle fait de la coopération
elle-même un enjeu de compétition majeur. Elle est devenue un marché où l'intervention
des États et des grandes institutions internationales croise les intérêts d'une myriade
d'organismes publics et privés. Il suffit pour s'en convaincre de songer au volume des
financements et au nombre des appels d'offres lancés par les banques de développement au
profit des pays d'Europe centrale et orientale ou de l'ancienne Indochine.
La coopération vise à corriger les effets de la
concurrence économique internationale, et, dans le même mouvement, elle s'y inscrit en
pleines lettres.
Paradoxe
Or on relève un paradoxe étonnant. Alors que la
coopération se donne pour priorité première de soutenir des programmes de formation, on
ne compte en France aucune école pour former les cadres chargés de la mettre en
uvre.
Bien plus : on ne trouve aucune espèce de
définition, et a fortiori de reconnaissance, des compétences professionnelles qu'elle
suppose.
Le plus souvent celles-ci s'acquièrent sur le
tas, au gré des affectations, du terrain, des occasions.
Ce qui ne veut pas dire que rien ne soit fait en
ce domaine. Depuis cette année, les nouveaux conseillers et attachés culturels, les
nouveaux directeurs d'instituts bénéficient d'un stage de sensibilisation d'une durée
d'un mois: ce progrès doit être salué. Dans le même esprit, des périodes de formation
d'un an sont offertes aux attachés linguistiques. Tout cela n 'est pas anodin. Mais selon
nous, la notion de métier oblige à faire davantage.
C'est pour pousser en ce sens que l 'ACAD-MAE a
été fondée en 1993. Le fait que l'association regroupe aujourd'hui plus de 730
adhérents répartis dans 98 pays témoigne d'une conviction simple : compte tenu des
enjeux qu'elle nourrit, la coopération internationale a besoin de cadres formés,
évalués, motivés et pleinement reconnus.
Un personnel mobile
Il ne s'agit pas de céder à de quelconques
sirènes corporatistes en créant un corps spécifique, pourvu de statuts et de
privilèges, mais, bien au contraire, de promouvoir une mobilité rationnelle des agents
entre l'étranger et l'hexagone, afin que s'estompe le clivage entre l'action extérieure
et le dynamisme intérieur. Cet objectif concerne le pays tout entier, des collectivités
locales aux administrations centrales, des universités aux entreprises. Puisque la
coopération, phénomène universel, est aussi un phénomène national, il convient de
concrétiser rapidement la double vocation que réclame la réalité nouvelle.
Tel est le propos de ce Livre Blanc.
L'honneur du métier
Les personnels culturels et de coopération ont
été invités à s 'exprimer personnellement sur leur métier, ce qu'ils ont fait à
travers une cinquantaine de contributions. Pour la première fois, la parole leur a été
directement donnée, et si l'on décèle parfois chez ceux qui l'ont prise une légère
tendance à vanter leurs propres mérites, c'est que sachant leur métier mal connu, ils
ont voulu en souligner la grandeur et les servitudes.
Ces messagers de l 'exception française
éprouvent de la fierté à décrire ce qu'ils font. Fierté compréhensible et surtout
légitime de s'être expatriés pour le service de l'Etat et d'avoir acquis par eux-mêmes
les compétences requises.
Partir est souvent un exil. Beaucoup le
ressentent ainsi, l'acceptent, et même le désirent. Mais servir à l'étranger n'est
jamais une sinécure. Qu'on représente la France aux portes du désert ou dans une
métropole surpeuplée, on se consacre à ses fonctions sans réserve.
Il se peut qu'au lendemain des indépendances, à
l 'époque où la France envoyait des dizaines de milliers d'enseignants et d'experts se
substituer aux formateurs et aux cadres dont manquaient les nouveaux États, la conscience
d'accomplir une mission fût moins forte ou moins répandue. Mais les temps ont changé.
Dans sa très grande majorité, le personnel culturel et technique en poste à l
'étranger se sent investi d'une responsabilité exigeante, et il assume ses tâches avec
l'esprit du professionnel qu 'il veut être.
Convergences
On doit également percevoir, sous cette fierté
et sous cet enthousiasme, les espérances suscitées par l'actuelle réforme de la
Direction Générale des Relations Culturelles, Scientifiques et Techniques.
Il existe une évidente convergence entre cette
réforme et les positions défendues depuis le début par l 'ACAD-MAE en faveur d 'un
cursus professionnel pour les personnels culturels et de coopération. Bien qu'il s'agisse
de deux démarches indépendantes l'une de l'autre, cette convergence n'a rien de fortuit.
La Direction générale et l'association étant parties des mêmes prémisses, sont
parvenues aux mêmes conclusions : d'une complexité et d 'un poids croissants sur fond de
concurrence mondiale, la coopération internationale impose à la France d'améliorer les
conditions de son rayonnement culturel, scientifique et technique, ce qui implique
l'utilisation d'un personnel qualifié au savoir-faire reconnu.
Cependant la diffusion culturelle et la
coopération n 'étant plus l'apanage du Ministère des Affaires Étrangères en dépit de
son rôle central de coordination et d 'animation, mais concernant l'ensemble de ses
partenaires hexagonaux, il importe que les conseillers et attachés culturels, les
directeurs de centres et d'instituts, les attachés linguistiques, les chefs de projets,
bref les cadres qu'il emploie trouvent en lui mais aussi hors de lui la reconnaissance que
méritent leurs compétences.
Formation, permutations
Même si le processus réclame du temps et une
durable volonté politique, la formation d'une culture professionnelle commune aux agents
en poste à l'étranger et aux personnels qui, en France, assument des fonctions liées à
la coopération internationale, constitue un objectif essentiel.
C'est pourquoi l 'ACAD-MAE suggère de créer un
Institut des Relations Culturelles et de la Coopération (IRCEC) partiellement hors les
murs, en association avec des administrations centrales, des collectivités locales, des
chambres de commerce, des universités.
Cet Institut proposerait à tous les acteurs
français concernés des sessions ou des modules de formation communs, un lieu d
'information, un espace de rencontres.
Une telle initiative permettra de bonifier
l'ensemble de la coopération française tout en renforçant le large circuit des
permutations entre l'hexagone et l'étranger que notre association appelle de ses vux,
et que la Direction Générale a déjà commencé à bâtir.
L'obligation de réussir
Il faudrait cependant beaucoup de naïveté pour
s'imaginer que les pesanteurs et rigidités qui freinent la mobilité des agents de la
fonction publique vont disparaître par la simple magie du bon sens. En France, où le
corporatisme fondé sur le diplôme règne en maître, la validation des acquis
professionnels reste encore une chimère.
Pourtant un pays comme le nôtre, qui dispose du
plus vaste réseau culturel extérieur, et qui veut diffuser d'un même élan la puissance
de ses idéaux et la vitalité de son industrie, ne peut raisonnablement -ne serait-ce que
pour des raisons budgétairesfaire l'impasse sur le métier des personnels qu'il
charge de défendre son image hors de ses frontières.
Les principales agences de coopération
étrangères se préoccupent de former leurs cadres et de leur ménager une carrière. Ce
Livre Blanc présente l'exemple du British Council et du DAAD allemand. Il ne s 'agit
naturellement pas de modèles, mais d'éléments de comparaison qui offrent matière à
réflexion.
De toutes façons, inutile de brosser un tableau
exagérément noir. Bien qu 'elle demeure la règle, l'habitude, pour les agents
détachés, de se voir rendus sans autre forme de procès à leur administration d'origine
comprend des exceptions. Celles-ci atténuent un peu l'absurde gâchis qui consiste à
passer par profits et pertes la somme d'expériences humaines et techniques accumulées en
poste.
Mais faisons en sorte que ces exceptions
deviennent la règle.
Pour cela, il est indispensable de développer
une véritable mobilité, réfléchie, concertée, réellement efficace. Faute d 'une
politique de ressources humaines à la hauteur des enjeux, il paraît en effet évident
que la coopération culturelle, scientifique et technique menée par notre pays en toutes
ses composantes souffrira d 'un handicap grandissant. La France peut-elle se payer ce luxe
? Au-delà de la volonté démontrée par la Direction Générale, la décision effective
appartient aux élus de la nation et aux pouvoirs publics.
Puisse ce Livre Blanc contribuer à les en
convaincre.
Jean-Michel