Les évolutions de la coopération internationale  et leurs influences sur les métiers de la coopération

   

 

Les évolutions de la coopération internationale 
et leurs influences sur les métiers de la coopération

Raymond Le Ruyet

Actuellement chargé de mission au titre du "multilatéral", Raymond Le Ruyet est l'un des rares agents de la Centrale ayant travaillé à la Commission européenne.

Propos recueillis par Sophie Lewandowski pour l'ACAD-MAE.

PARCOURS

bulletVous avez travaillé avec différentes fonctions et divers statuts en coopération bilatérale comme multilatérale, pourriez-vous nous dire quels ont été pour vous les véritables ruptures professionnelles ?

Il y a eu un premier changement de type administratif : après avoir passé 20 ans au sein de l'ancienne DGRCST où j'étais sous un statut de détaché du ministère de l'Education nationale auprès du ministère des Affaires étrangères, j'ai été intégré au tour extérieur des administrateurs civils et j'ai alors choisi de passer au ministère de la Coopération (de préférence au ministère des Finances).

La vraie "rupture" a été d'ordre fonctionnel, par le passage de la coopération bilatérale au multilatéral :
bulletsous l'angle bilatéral, j'ai été successivement coopérant (cinq ans au Laos), attaché culturel (deux ans et demi au Liban), conseiller culturel et de coopération technique (cinq ans et demi au Nigeria) et, pour en finir avec la DGRCST, sous-directeur de la politique linguistique (sept ans à l'administration centrale)... Je suis resté également dans le bilatéral au ministère de la Coopération lorsque je m'y suis occupé de gestion de l'assistance technique et d'information et communication.

Il n'y a pas eu de rupture fondamentale à ce niveau,

bulletle vrai changement fonctionnel a été réalisé lorsque je suis allé à Bruxelles dans le cadre d'une mobilité d'administrateur civil au sein de la DG B (Asie) en qualité d'expert national détaché (END).

Le passage à la commission était porteur de multiples changements: de finalité et de contexte, de types de moyens, de modes de travail et même de logique de projet. Par exemple l'essentiel de la gestion des projets se passe en dehors de la commission : c'est ce que montre le système des contrats-cadre qui consiste à faire appel à des "experts court terme" hors de la commission, pré-sélectionnés par des opérateurs choisis par appel d'offres; il y a ainsi toute une gamme de collaborations externes ponctuelles, si nécessaire ultra-spécialisées; de même, de façon plus durable, existe le système des "bureaux d'assistance technique" ou autres "secrétariats" chargés de la gestion des projets au nom de la Commission.

Autre différence : la codification de la présentation des projets et des programmes (le "cadre logique" ou "logical framework"). Je suis resté quatre ans au sein de la commission (trois ans comme expert détaché et un an comme contractuel), puis deux ans sous le statut de mis à disposition auprès l'Institut pour les Etudes Asiatiques (institut relais de la commission et du parlement européens où j'ai animé un site Internet Europe-Asie et des actions de communication avec la participation de hautes personnalités communautaires).

bulletProcessionnellement, que vous a apporté cette expérience au niveau multilatéral ?
Cela m'a apporté :

- une capacité d'adaptation linguistique ou culturelle : au moins 50 % des échanges se font en anglais (même s'il faut réagir - et c'est possible - pour utiliser davantage le français), et l'on travaille en permanence avec 14 autres nationalités (au moins).

- une connaissance de méthodes très différentes et très structurées qui font une place beaucoup importante à la réflexion, l'identification, aux débats internes et externes (internes au sein de la commission et externes avec les Etats membres en particulier) ainsi qu'à l'évaluation.

- la maîtrise de la préparation de termes de référence pour des appels d'offre et de la conception des appels d'offre au niveau régional.

Mais je voudrais surtout évoquer les apports plus généraux que j'ai cherché à valoriser...

Déjà sur place, j'avais la préoccupation de rapatrier du savoir et du savoir-faire vers les administrations françaises.

- Par exemple, pour le sommet Europe-Asie de l'ASEM de Bangkok (1996), nous avons monté une réunion commune entre mon Directeur communautaire et le directeur général de la DGRCST. J'ai aussi cherché à faire passer des messages au cours d'une réunion du réseau bilatéral présidée par le Ministre. Je désirais faire savoir qu'il y avait des financements, des possibilités de mobilité offertes aussi à des agents français, des financements pour nos établissements similaires aux grands organismes allemands, néerlandais, britanniques... comme le British Council (dont 30 % du budget venait de la Commission européenne) qui se sont donnés la capacité de gagner des appels d'offre pour gérer des projets au nom de la Commission.

Cependant, c'est une leçon que j'ai apprise, les messages d'ordre général, même s'ils passent, ne sont pas véritablement déclencheurs.

- J'ai également cherché à renforcer l'influence française à l'intérieur de la Commission notamment en matière linguistique : par des stratégies comportementales d'usage du français au sein de la commission (résultat : passage de 15 à 50 % de l'usage du français dans l'Unité à laquelle j'appartenais) ; en recommandant la création d'un établissement autonome capable d'un promotion innovante des langues autres que l'anglais par divers types de rencontres par ailleurs porteuses de lobbying. J'ai ainsi poussé à la création d'un Centre Européen qui aurait eu ce modèle.

- Une troisième forme d'initiative a été la mise en réseaux des détachés français à la commission : une association a été ainsi créée (j'avais passé un "marché" avec des stagiaires français: ils nous faisaient le marketing téléphonique de l'association et nous leur ouvrions des portes). L'idée d'une association d'anciens détachés est en germe actuellement chez les personnes qui ont participé à cette initiative et qui sont pour beaucoup d'entre eux actuellement dans les collectivités locales. En effet, les administrations centrales n'offrent que peu de possibilités de valorisation de l'expérience à Bruxelles. Le sachant, j'ai pour ma part, tout fait pour rester dans la veine du communautaire et ai accepté le seul poste qui était vacant au moment de mon retour à la centrale.

bulletPourriez-vous nous expliquer quelles activités vous avez alors mises en place au sein de la centrale concernant cette dynamique de relation au multilatéral ?
L'expérience du multilatéral est souvent de l'ordre de l'indicible : il est très difficile de rendre compte de ce qui se passe de "l'autre côté du miroir". Et il sert à peu de choses de dénoncer le cercle vicieux de la coupure de la coopération française vis-à-vis de la coopération multilatérale.

Il fallait passer du discours à l'action et pour cela j'ai mené une expérience calée sur un appel à candidature de la communauté européenne visant à sélectionner des experts de collectivités locales pour soutenir la MINUK chargée aussi de la gestion régionale et municipale au Kosovo. Je suis venu en renfort de la mission des fonctionnaires internationaux dont le travail est de regrouper et de transmettre des CV. Pour constater qu'il n'y avait pas de véritable vivier présentable a priori pour cette sélection et qu'il fallait donc le créer de toutes pièces. Pour cela nous avons crée un site Internet informel d'information Bruxelles-Paris-collectivités locales, identifié des dizaines de personnes ayant le potentiels et nous les avons aidés à mettre leur CV et leur lettre de motivation en anglais.

Certains contacts nous ont appris comment allaient se passer les auditions et j'ai proposé à une présélection de candidats ayant le meilleur potentiel de passer avec nous deux jours de formation (pour des simulations d'entretiens). Sur les vingt personnes ainsi entraînées, pratiquement toutes ont été acceptées pour le Kosovo et la France représente 40 % des experts "européens" recrutés (pour un coût compris dans une fourchette allant de 8 à 12 MF pour 2000).

Il n'y a donc pas de fatalité, on peut apprendre vite et j'ai dégagé à partir de l'expérience Kosovo une méthode à l'origine d'un plan d'action pour la coopération communautaire PECO/CEI : par différents réseaux, j'arrive à identifier les meilleurs opérateurs français dans un domaine et je leur propose de partager leurs savoir et savoir-faire avec des opérateurs moins chanceux. Avec l'aide de ces bons opérateurs et de personnes qui viennent du bureau de l'assistance technique à Bruxelles (donc proches des évaluateurs), nous proposons des sessions d'entraînement à l'accès de financements existants. Nous avons fait cela avec des collectivités locales, des associations à orientation sociale, et des associations à orientation plus politique. Pour poursuivre cette expérience et l'élargir, nous prévoyons des guides pour chaque catégorie d'opérateurs, des réunions régionales des agents en poste (pour la zone CEI, elle a eu lieu en juillet ; pour les pays candidats, ce sera en octobre en Roumanie et il aura aussi sans doute une session au Kosovo pour les Balkans). Lors de ces rencontres régionales, on demande aux agents en poste des choses très concrètes comme de trouver un partenaire pour un opérateur français, à la recherche de financements européens. A partir de cette petite brèche pratique, les agents s'ouvrent concrètement au multilatéral et sont alors plus aptes à emmagasiner des informations plus générales.

Enfin l'ensemble du plan d'action sera présenté les 4 et 5 septembre prochains aux conseillers et attachés nouveaux partants.

Je serai heureux si le site de l'ACAD permet d'élargir l'information. A cet égard, j'aimerais que mes propos soient l'occasion d'un dialogue sur le site et j'aimerais inviter les agents de l'ACAD qui ont une expérience du multilatéral à réagir sur mes propos, par exemple :

bulleten venant illustrer telle ou telle assertion
bulleten nuançant éventuellement un point de vue
bulleten présentant un point de vue différent
bulleten abordant un thème qui n'a pas encore été évoqué

Cela peut aussi être l'occasion pour les agents de l'ACAD qui ne sont pas encore familiarisés avec le multilatéral à poser des questions (auxquelles je ne serais pas le seul à répondre).

Je pense en effet que le multilatéral peut offrir des débouchés supplémentaires à des agents qui, ayant acquis le virus de l'international, ne pourraient ou ne voudraient continuer dans la voie de la coopération bilatérale. Ces débouchés peuvent être multiples, par exemple:

bulletdétachement pour la gestion ou la mise en oeuvre d'un projet communautaire
bulletprésentation d'un projet en vue d'un financement communautaire à partir de divers types d'organisations (collectivités locales, associations, établissements publics...). Sur ces divers aspects, je souhaite vivement que des témoignages vécus puissent être apportés, à commencer par les quelques anciens du réseau bilatéral qui ont réussi à passer de l'autre côté du miroir.
 

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Dernière modification : 03 sept. 2002

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