ALLOCUTION AU SECOND COMITE TECHNIQUE PARITAIRE DU 12 MARS 1998 DU DIRECTEUR GENERAL DES RELATIONS CULTURELLES SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES

Intervention de M. Pierre Brochand
directeur général
des relations culturelles scientifiques et techniques
au second comite technique paritaire
du ministère des affaires étrangères
(personnels culturels et de coopération)
du 12 mars 1998

 

Dans le cadre de ce comité, où le temps nous est compté, je me bornerai à exposer les grandes lignes de la politique culturelle et de coopération. Je serai néanmoins un peu long dans la mesure où ce thème est beaucoup plus large que celui que nous avons traité à l’occasion du dernier C.T.P., lorsque nous avions parlé ensemble du réseau des établissements culturels et de son avenir.

Je crois, en particulier, et ce sera d’ailleurs la première partie de mon exposé, qu’on ne peut pas faire l’impasse sur le contexte de cette politique, si l’on souhaite parler en connaissance de cause.

Pourquoi ? Parce que ce contexte est en plein bouleversement et que ces bouleversements nous affectent plus particulièrement, nous Français, ainsi que notre modèle d’intervention culturelle. Après examen de ce contexte, je m’efforcerai de dégager les orientations dans lesquelles nous sommes engagés pour y réagir.

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D’abord, donc, quel est l’environnement de notre action, de notre politique ? Le monde dans lequel se développe cette politique, c’est une évidence, est celui de la mondialisation et de la globalisation. Je dirais aussitôt que ce monde est presque entièrement nouveau et qu’il se caractérise par quatre ou cinq tendances dominantes, que nous devons d’autant plus prendre en compte qu’elles viennent à rebours, pour ne pas dire à contre-pied de toutes nos habitudes.

La première tendance est archi-connue : c’est la diversification des acteurs culturels ou de la coopération.

L’État n’est plus seul. À côté de lui, au-dessous de lui, en dessus de lui, montent en puissance des acteurs qui n’existaient pas autrefois sur ce terrain : les organisations multilatérales et tout particulièrement l’Union Européenne, les collectivités locales, les entreprises, les O.N.G., les fondations et même des individus/mécènes. Ces acteurs nouveaux, il faut le savoir, disposent déjà d’une capacité de mobilisation des ressources nationales françaises, supérieure à celle dont dispose l’État (10 milliards de F).

Il va de soi qu’une telle redistribution affecte beaucoup plus directement un pays comme le nôtre, qui a fait de l’action culturelle extérieure une mission de l’État, je dirais même une branche de la diplomatie, confiée à une direction du ministère des affaires étrangères que j’ai l’honneur de diriger, dans le plus pur style régalien.

La deuxième tendance lourde à laquelle nous assistons, c’est que cette relativisation du rôle de l’État s’accompagne, je dirais presque naturellement, d’une généralisation des logiques du marché de privatisation, de concurrence. On peut aimer ou non cette évolution, mais c’est un fait. Et ce qu’il est encore plus intéressant d’observer, c’est que, dans la sphère culturelle, cette logique marchande ne se limite pas au secteur lucratif des industries culturelles, mais s’étend de plus en plus à la sphère non lucrative. Deux exemples : l’enseignement supérieur devenu un marché international où les universités et les établissements d’enseignements se disputent férocement la clientèle des étudiants. Deuxième exemple : l’allocation des énormes ressources de l’aide multilatérale, en particulier européenne, qui sont distribuées à travers des appels d’offre et qui mettent en concurrence des opérateurs le plus souvent privés.

Ces évolutions contrastent avec notre recours quasi exclusif au service public. Ce n’est pas la peine de rappeler qu’il en est ainsi de notre réseau culturel, de notre réseau scolaire et même de nos opérateurs audiovisuels, les Alliances françaises et les écoles associatives étant les exceptions qui confirment la règle. Ce système a sa raison d’être et même son efficacité, mais il faut bien être conscient du fait qu’il nous place en porte à faux par rapport au courant dominant.

La troisième tendance majeure, c’est l’évolution technologique, la révolution de l’information qui fait que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, notre planète fonctionne comme un système intégré de communication où chacun peut accéder théoriquement et instantanément à tous et à tout.

Il en résulte très concrètement une problématique cruciale pour nous qui est celle de la superposition des réseaux de diffusion culturelle. Il y a en effet, d’un côté, les réseaux classiques, culturels et scolaires, et d’un autre côté, les réseaux électroniques qui sont eux-mêmes aujourd’hui d’une double nature (audiovisuel et ordinateurs multimédia).

Ces réseaux sont à la fois supplémentaires, puisqu’ils diffusent tous des contenus culturels, et complémentaires, parce qu’ils le font de manière très différente. D’une part, le réseau classique privilégie une culture intensive, directe, de proximité qui porte sur des petits nombres d’individus et, d’autre part, les réseaux électroniques sous-tendent une culture des grands nombres mais extensive et virtuelle. Il faut bien admettre, là aussi, que nous nous reconnaissons plus volontiers dans le réseau classique, le réseau " en dur ", dont nous sommes très fiers et qui reste le premier du monde. Mais nous sommes, encore aujourd’hui, moins familiers des réseaux électroniques, nés loin de chez nous et dont les évolutions nous devancent assez souvent.

La quatrième tendance, c’est l’expansion continue du champ culturel. A partir du noyau originel des beaux-arts et de la langue, l’explosion du concept culturel l’a étendu, d’abord (il y a déjà un certain temps), aux sciences et techniques puis au divertissement et au spectacle (notamment à travers les moyens audiovisuels) de là a débordé vers des secteurs tel que le sport et aujourd’hui se confond pratiquement avec l’information pure et simple. Si bien qu’à l’instant présent, " tout est dans tout " et la culture (avec un petit "c", bien évidemment), l’information, l’image d’un pays sont quasiment devenues des termes synonymes et interchangeables.

Et nous autres Français, dont le pays est souvent associé à la Culture avec un grand "C", de haut niveau, d’accès pas toujours facile, nous sommes tout particulièrement interpellés par cet effacement des catégories. D’où un autre décalage, qui nous pose en permanence la question des rapports entre masses et élites et la question du choix optimum des points d’application de notre action.

Cinquième tendance et je m’arrêterai là, même si on pourrait en citer beaucoup d’autres. Sur le plan linguistique, le nouveau système mondial tend de manière spontanée et mécanique, à s’organiser autour d’un vecteur unique de communication, l’anglo-américain. Là encore, c’est pour le français, que le choc est le plus rude, car notre langue est la seule, avec l’anglais, qui prétende, elle aussi, à un statut planétaire, la seule avec l’anglais. D’où le risque d’être pris en sandwich, entre ce rouleau compresseur de l’anglo-américain et les grandes langues régionales (arabe, espagnol, allemand) dont l’aire naturelle est plus vaste que celle du français et qui, curieusement, ne souffrent pas du phénomène de globalisation et même d’une certaine manière en profitent.

Je dirais en conclusion de ce très bref tour d’horizon du monde tel qu’il va, que ce paysage n’a rien de théorique, mais au contraire détermine directement nombre de nos préoccupations quotidiennes, à commencer par la principale qui est la contrainte budgétaire.

On peut dire, en effet, sans forcer le trait, que la globalisation, d’une certaine manière, comprime nos ressources et accroît nos charges. Elle comprime nos ressources en ce sens que les nouveaux acteurs dont je parlais tout à l’heure (et je pense surtout à l’Union Européenne et aux collectivités locales) attirent désormais à eux une partie des flux fiscaux qui, dans d’autres temps, nous auraient été exclusivement destinés : ni le ministère du budget, ni d’une certaine façon le contribuable n’ont envie, et je crois que c’est légitime, de payer deux fois la même note. Ensuite, face à ces ressources comprimées, nos besoins, donc nos charges, s’accroissent, toutes choses égales par ailleurs, par le jeu de la superposition des réseaux dont je parlais à l’instant. Au lieu de devoir entretenir un seul réseau comme autrefois, nous avons désormais la charge de deux ou trois réseaux superposés. Nos prédécesseurs n’en avaient qu’un, nos successeurs n’en auront peut-être qu’un. Mais, en attendant, nous, nous en avons deux ou trois, et il nous faut en accepter la charge. D’où un effet de ciseaux entre l’évolution des ressources et celle des charges, que nous ne pouvons atténuer qu’en essayant de changer les règles du jeu.

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Et j’en viens tout naturellement, après ce constat, à la seconde partie de mon exposé, laquelle porte sur les orientations que nous nous efforçons de prendre pour agir et réagir face à ce monde nouveau, dans le cadre des contraintes qui nous sont imposées et qui, je dois vous le dire, sont nombreuses et strictes. Ces orientations, sont au nombre de cinq.

La première : ne pas renoncer au volontarisme, en dépit des incitations contraires.

La deuxième : poursuivre les réformes de structures, mais sans en faire une panacée.

La troisième : changer nos comportements.

La quatrième : définir des priorités.

La cinquième et dernière : optimiser nos réseaux.

Revenons-en à la première : il ne faut pas renoncer au volontarisme culturel et en particulier au volontarisme d’État. Pourquoi ? Parce qu’en dépit des vents contraires, dont je viens de parler, la mondialisation crée, pour la France, des obligations impérieuses et lui offre des chances qui ne sont pas moins évidentes.

Elle crée des obligations impérieuses dans la mesure où aujourd’hui les enjeux culturels et, avec eux, les enjeux économiques sont devenus les seuls stratégiques. Dans le monde de la guerre froide, dans le monde bipolaire d’autrefois, l’influence était d’abord politique, idéologique, militaire. Dans le monde d’aujourd’hui, elle devient presque exclusivement culturelle et économique. Je dirais même que s’y établit une véritable chaîne du " savoir et du pouvoir " reliant la formation initiale et continue des décideurs, leurs penchants culturels, leur style de vie, leur mode de penser, les normes juridiques, techniques, professionnelles, culturelles qu’ils édictent et finalement les décisions de consommation et d’investissement qu’ils sont amenés à prendre.

Je pense que les grandes puissances d’aujourd’hui sont celles qui parviennent à maîtriser et encore mieux à exporter cette " chaîne ". Il faut bien convenir que les États-Unis sont les seuls qui y sévissent dans le monde entier. Nous y arrivons encore tant bien que mal en Afrique francophone et dans le Maghreb. Mais il n’est pas prétentieux d’ajouter que, dans le reste du monde, existe toujours, sur ce plan une certaine attente à notre égard, parce qu’il n’est pas d’exemple historique de monopole qui n’ait suscité le besoin d’autre chose, qu’il s’agisse d’une alternative ou d’un complément.

C’est la chance que nous offre la mondialisation : la France est pratiquement la seule en mesure de proposer, de l’intérieur du système, c’est à dire en ne s’excluant pas de la compétition mondiale mais au contraire en l’acceptant comme inéluctable, une vision culturelle différente. En tout cas, notre pays continue d’être perçu comme tel, par beaucoup d’élites, intellectuelles étrangères qui lui accordent spontanément le préjugé de la grande puissance culturelle et attendent de lui une version actualisée du message universaliste auquel il les a accoutumées.

Or - et c’est mon opinion - ce message ne peut se faire entendre, je dirais même ne peut s’exprimer, sans engagement fort de l’État national et de son administration, c’est à dire de nous tous ici. Pourquoi ? Parce qu’à la différence des actions menées par nos amis anglo-saxons qui sont les plus souvent autofinancées par le marché, notre action culturelle, qui se veut de haut niveau et doit, à un stade ou à un autre, recourir à la langue française, ne franchit qu’exceptionnellement le seuil de la rentabilité. Il faut bien que quelqu’un se charge de payer la différence et ce quelqu’un ne peut être que l’État. Par ailleurs, ce serait une erreur d’escompter dans ce domaine, à la différence d’autres, un relais européen : la compétence linguistique et culturelle restera nationale pour une durée indéterminée et ce que nous ne ferons pas nous-mêmes, personne ne le fera à notre place.

Tout ceci pour dire que l’action culturelle extérieure est et doit rester un devoir de la puissance publique. Même si une telle affirmation relève plutôt du pouvoir politique, elle me paraît mériter d’être réitérée ici aujourd’hui.

Le deuxième axe de notre action porte sur l’instrument administratif lui-même, celui dont dispose la dite puissance publique pour remplir son devoir : c’est à dire non seulement la Direction Générale mais aussi le réseau culturel, scolaire et tous les opérateurs et les partenaires avec lesquels nous travaillons. La question est de savoir si un tel instrument, réformé d’innombrables fois, appelle de nouvelles réformes. Sans doute oui, mais à la condition de ne pas en faire la panacée. On vous parlera dans quelques instants de la réforme du dispositif de coopération qui, en termes de structures, représente une entreprise considérable. Je me bornerai à évoquer dans cet exposé ce qui a déjà été accompli à la Direction Générale (depuis la précédente réforme de 1994) et ainsi vise à donner à un appareil, très rigide à l’origine, les moyens de réagir le mieux possible, en temps réel, aux mutations accélérées de notre époque.

Le chemin le plus court pour parvenir à cette fin n’a rien de mystérieux : c’est la généralisation de l’autonomie de gestion à tous les niveaux, allant de pair avec le décloisonnement des différents types d’activité. Force est de reconnaître que cet objectif est en passe d’être mieux atteint au niveau des postes qu’à celui de l’administration centrale, grâce à la généralisation sur le terrain de concepts fédérateurs que vous commencez à bien connaître, comme les centres culturels de coopération et les centres de ressources.

Au niveau central, la situation est un peu moins satisfaisante, malgré la création d’un service financier commun dont nous venons de parler. Mais je crois qu’il est difficile d’en demander beaucoup plus à une direction d’administration centrale, tenue à des règles de fonctionnement particulièrement contraignantes, notamment sur le plan budgétaire et comptable, et où l’absence de fongibilité et de prévisibilité à cours et à moyen terme des ressources sont des handicaps aussi lourds que difficilement évitables.

J’en reviens à la troisième orientation, qui me paraît encore plus importante que celle qui consiste à réviser les structures, même si elle est moins facile et spectaculaire : il nous faut en effet changer de comportement et même en changer radicalement. C’est en fait à un véritable renversement copernicien de nos attitudes auquel il nous faut nous livrer pour répondre aux bouleversements de la globalisation.

Rappelons quelques vérités élémentaires. L’administration française n’est plus seule au monde. Elle n’est même plus le centre du monde et nous avons au moins autant besoin des autres qu’ils n’ont besoin de nous. Ceux que nous avons longtemps tenu pour des concurrents, tous les nouveaux acteurs que j’ai mentionnés tout à l’heure, les organisations multilatérales, les collectivités locales, les entreprises, les O.N.G. et même les autres départements ministériels, sont devenus aujourd’hui d’indispensables associés et partenaires.

Ce qui veut dire qu’à Paris nous devons adopter une mentalité résolument interministérielle et développer avec les autres ministères un nouveau type de relations. Je me permets d’indiquer au passage que c’est ce qui est en train de se mettre en place avec le ministère de l’éducation nationale et de la recherche avec lequel plusieurs groupes de travail sont à l’œuvre.

Mais c’est sans doute dans les postes et les établissements culturels que s’impose encore davantage une révision des attitudes. Nous devons absolument y abandonner nos réflexes traditionnels de recours au guichet et à la subvention, qu’elle soit reçue ou distribuée, et adopter le réflexe contraire, celui du " monteur de projets " ou, pour reprendre une expression bancaire, de spécialiste du " tour de table ".

 

Dans ce contexte, la ressource venant du budget de l’État fournit soit la semence au départ du projet, soit l’appoint final. Et, si c’est elle qui permet souvent de boucler l’ensemble, elle n’est plus, loin s’en faut, le seul moyen de financement.

La recherche de concours extérieurs ne doit donc plus être considérée comme un expédient, mais bien comme une donne irréversible et permanente dont nous devons tous tirer des conséquences. Parmi tous les partenaires potentiels, il faut évidemment faire un sort particulier à ceux dont les moyens viennent de la même source que les nôtres (à savoir le contribuable français), c’est-à-dire, d’une part, l’Union Européenne et, d’autre part, les collectivités locales, avec lesquelles des liens tout particulièrement étroits doivent être tissés. J’y ajouterai le pays hôte, dont le cofinancement (quand il en a les moyens bien sûr) doit devenir la règle, même si ce cofinancement demeure symbolique.

C’est donc, et j’y insiste, une démarche entièrement nouvelle qu’il nous faut adopter. Nous ne pouvons plus rien faire tout seul, dans notre coin, mais nous devons, au contraire, faire avec les autres et même, encore mieux, essayer de " faire faire " par les autres quand ils le font mieux que nous.

C’est d’ailleurs une approche similaire d’ouverture que nous devons adopter vis-à-vis des publics de notre réseau culturel, (on reviendra sur ce point), à l’égard desquels s’impose un renversement de perspective très comparable, quand, dans ce cas particulier, ce sont les activités " hors les murs " de nos emprises qui doivent fixer la norme et non l’inverse.

Quatrième orientation, j’ai dit qu’il faut mieux définir nos priorités. C’est un truisme, pour ne pas dire un serpent de mer, mais c’est un truisme qui devient un impératif catégorique dans une période où, comme aujourd’hui, les moyens sont comptés. Ce n’est d’ailleurs pas très simple, reconnaissons-le, de fixer des priorités qui puissent être validées à l’échelle de la planète et valables tous azimuts.

Si l’on fait abstraction de l’impératif de solidarité que recouvre la notion de coopération au développement et dont la Direction Générale, il faut bien l’admettre, n’est plus comptable qu’à la marge, on peut dégager trois priorités principales : la première est de nous attacher aux élites étrangères, la deuxième, de créer un environnement international favorable à l’exportation et à l’emploi français, la troisième, de promouvoir notre langue comme conséquence de ces deux premiers objectifs.

En premier, donc, nous attacher les élites, ou si ce mot ne plaît pas beaucoup, nous attacher les décideurs ou les futurs décideurs. La taille de nos moyens, la nature de ces derniers, nous interdisent en effet une autre approche. Il faut avoir la lucidité de reconnaître que nous n’avons pas accès au grand nombre, sauf dans la zone au nord et au sud du Sahara et dans une moindre mesure, dans certains pays du pourtour de la Méditerranée, où la référence française reste dominante et où notre devoir est de ratisser plus large. Mais, ailleurs, notre ambition doit tendre à former ou participer à la formation, initiale ou permanente, des décideurs ou des faiseurs d’opinions ou, si nous ne parvenons pas à nous insérer dans ce processus de formation, à faire tout ce que nous pouvons pour séduire ces mêmes décideurs.

Le travail de formation peut s’effectuer, soit au sein du système local (où le bon sens nous dicte de concentrer nos moyens sur quelques pôles et filières d’excellence), soit dans notre propre système de formation, qui comme vous le savez offre un bilan assez contrasté.

D’un côté, nous disposons en effet de cet atout unique qu’est le réseau de nos écoles et lycées à l’étranger, dont la capacité d’attraction sur les élites locales reste en général incontestée. Mais, d’un autre côté, notre système d’enseignement supérieur, universités et grandes écoles, a beaucoup de mal à affirmer sa compétitivité internationale, face à des Anglo-Saxons qui se taillent la part du lion, particulièrement dans les pays émergents où se joue la bataille de la mondialisation.

Remédier à cette inadéquation constitue aujourd’hui un enjeu vital pour la France. Bien entendu, le ministère des affaires étrangères et la direction générale ne détiennent pas toutes les clefs à cet égard. Mais, conformément à leur vocation, ils se sont engagés dans un travail, que je n’hésite pas à qualifier de considérable, de sensibilisation, de motivation, de mobilisation et même de montage d’opérations-pilotes. Ce travail commence à porter ses fruits et pourrait se concrétiser dans un avenir proche par une entreprise commune avec le ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, visant à promouvoir ensemble notre offre de formation supérieure dans le monde.

Encore importe t-il, et j’ouvrirai une parenthèse sur ce point, que les élèves et étudiants ainsi formés ne soient pas abandonnés ou livrés à eux-mêmes, une fois de retour dans leur pays, mais qu’ils soient au contraire suivis et mis en réseau. Des progrès ont été accomplis à cet égard, mais beaucoup reste à faire pour valoriser au maximum ce qui constitue sans doute l’investissement le plus précieux de notre action culturelle. Ainsi avons nous demandé que les postes consacrent désormais un pour cent du montant des bourses au suivi de ces anciens étudiants en France, lequel constitue une priorité au même titre que la formation elle-même.

J’ai dit former les décideurs et, sinon, les séduire. Chercher à les séduire revient à reposer la question de l’image de la France, en tout cas de celle que nous voulons projeter dans le monde tel qu’il est aujourd’hui.

C’est un immense débat qu’il serait bien trop long de lancer ici. Je dirais simplement que, si nous voulons nous distinguer du modèle dominant avec sa tendance au monopole, tout en restant audible de ceux qui sont immergés dans ce modèle, nous n’avons pas d’autre choix que de jouer le jeu de l’ouverture et de la compétition et de refuser le discours défensif et crispé, auquel nous n’avons que trop tendance à succomber, face à des évolutions que nous n’avons pourtant aucun moyen d’empêcher.

Nous devons au contraire substituer à un tel discours, un discours positif et universaliste qui, sans nier l’évidence de la mondialisation, aspire à lui donner, c’est assez banal mais c’est un fait, un visage humain. C’est là tout l’enjeu de notre croisade pour le pluralisme culturel et pour l’exception du même nom , qui est aujourd’hui le seul langage que nous puissions tenir. Mais nous devons aussi - c’est le corollaire et ce n’est pas le plus facile non plus - démontrer concrètement que la France est capable de jouer ce jeu là, c’est à dire d’apporter une valeur ajoutée spécifique, un surcroît de qualité, d’imagination, de créativité, un supplément d’âme qui, aux yeux de nos partenaires étrangers, nous préserve de la banalisation, danger principal de la mondialisation.

Là aussi, il faut convenir que cette tâche ne relève que très partiellement de la direction générale des relations culturelles, ni même du ministère des affaires étrangères, mais bien plus largement incombe à la société française dans son ensemble.

J’en viens là à la deuxième priorité, soit " créer un environnement favorable à l’exportation et à l’emploi français ", c’est-à-dire en fait à l’internationalisation de nos entreprises. En dehors, de ce que j’ai qualifié tout à l’heure de " zone de solidarité ", où prévaut une coopération au développement désintéressée, la coopération devient de plus en plus un facteur de la concurrence économique internationale, qui présente pour avantage de n’être réglementée par aucun plafond.

Il est donc logique que notre coopération culturelle, scientifique et technique apporte un soutien d’ordre logistique au mouvement d’internationalisation de notre économie, en mettant à la disposition des entreprises françaises ainsi que de leur personnel expatrié toute une gamme de services. Il en va ainsi du réseau des écoles et des lycées dont le rôle est en partie de répondre directement à ce besoin. Nos établissements du réseau culturel y contribuent également grâce, par exemple à des cours de français professionnel, éventuellement sur mesure, dispensés aux cadres locaux de nos entreprises. De même, la coopération technique met en œuvre de nombreux projets de formation spécialisée axés sur le monde industriel et commercial. Notre réseau de conseillers, d’attachés scientifiques se livre à la veille technologique au profit des entreprises françaises. Nos programmes coopératifs de recherche scientifique visent aussi à rapprocher notre industrie de la recherche étrangère etc.

Je pourrais continuer longtemps cette énumération des services rendus à l’exportation et à l’emploi, mais il faut savoir, je le répète, que, dans le monde d’aujourd’hui, nous considérons ce volet de nos activités comme une priorité.

La troisième et dernière des priorités que j’ai mentionnées est la diffusion et la promotion de la langue française. C’est clair que, pour nous, il s’agit d’une priorité en soi , car comme je vous l’ai déjà dit, le statut de notre langue est gravement menacé et personne ne s’en chargera à notre place. Ce n’est d’ailleurs pas tellement notre langue elle-même qui se porte mal : elle va même plutôt bien dans sa zone traditionnelle, dans le pré carré francophone qu’il s’agisse de l’Afrique au nord et au sud du Sahara, du Québec, de la Suisse romande ou de la Wallonie/Bruxelles. Ce qui est en fait en danger, c’est le statut du français comme moyen de communication internationale.

Car, je le disais tout à l’heure, nous sommes la seule langue, hors l’anglais, qui exprime cette prétention. Pour tenter de préserver un tel statut, dont la valeur politique ne doit pas être sous-estimée, notre soutien se manifeste à différents niveaux. D’abord, sur le terrain diplomatique par des démarches incessantes auprès de tous les gouvernements étrangers en faveur du pluralisme linguistique au sein de leur propre système d’éducation, de façon à ce que soient rendues obligatoires le plus longtemps possible deux langues vivantes ; mais aussi appui à l’enseignement du français et en français dans les systèmes éducatifs locaux, selon les diverses modalités que chacun ici connaît bien, soutien enfin, grâce à notre propre dispositif d’enseignement du et en français, au sein soit de notre réseau culturel, soit de l’A.E.F.E. que vous connaissez encore mieux

Mais, dans tous les cas, il est important de le souligner, il s’agit de faire en sorte que l’apprentissage de notre langue ne soit jamais perçu comme un préalable ou un obstacle à quoi que ce soit d’autre, et en particulier aux deux autres priorités que je viens de mentionner. Si, pour nous, l’enseignement du français reste bien évidemment une finalité en soi, pour les apprenants éventuels étrangers, il doit au contraire apparaître comme une clef d’accès à quelque chose dont ils ressentent le désir, que ce quelque chose soit un métier, un savoir ou une culture.

Voilà pour les priorités.

J’en viens à la cinquième orientation : optimiser nos réseaux, à la fois classiques et électroniques. Optimiser, cela signifie, par définition, ne renoncer à aucun de ces réseaux, mais tenter de mieux les utiliser, de mieux les mettre en cohérence pour un coût donné.

S’agissant des réseaux classiques, je ne parlerai pas de l’A.E.F.E. dont il est question dans une autre enceinte. J’évoquerai le réseau culturel, dont vous savez, je vous l’ai dit lors du dernier C.T.P., combien sa légitimité est aujourd’hui mise en doute par des esprits qui n’appartiennent pas seulement à la Direction du budget. Ces esprits font valoir, non sans raison, que le monde d’aujourd’hui n’a presque rien de commun avec celui qui a vu naître nos établissements il y a plusieurs décennies et qu’il convient d’en tirer des conséquences pratiques en renonçant à une bonne partie de nos établissements, notamment en Europe.

Vous savez aussi que nous n’adhérons pas à ce point de vue. Nous pensons, au contraire, qu’un tel réseau est unique, car il est le seul à pouvoir créer un lien physique, je dirais même un lien charnel, direct avec le pays hôte, auquel est adressé, venant d’une puissance culturelle comme la France, un signal politique irremplaçable. Il n’empêche que, pour survivre et se développer, ce réseau est désormais contraint de démontrer quotidiennement son utilité et de confirmer sa nécessité. Obligé de justifier sa pertinence, il ne peut y parvenir qu’en rationalisant et se modernisant.

Ce qui veut dire, plus spécifiquement, que la carte de nos établissements ne peut pas rester figée. Elle doit " bouger " pour s’ajuster aux changements géopolitiques et aux besoins, même si, j’en conviens, ce n’est pas facile. Il doit donc y avoir des transformations, des conversions, des transferts et pourquoi pas, des fermetures, moins par souci d’économies que pour épouser les déplacements de nos intérêts planétaires. De même, ces évolutions de la carte, à l’échelle du monde, doivent s’accompagner, à l’échelle d’un pays ou d’une ville, d’un réexamen permanent de la configuration de nos emprises immobilières, dont beaucoup appartiennent à un autre temps. Réexamen qui doit aller de pair avec la réflexion sur la nécessité, à laquelle je me référais tout à l’heure, de privilégier les activités " hors les murs ", y compris les cours de langue, pour aller à la rencontre de nouveaux publics et mieux intégrer les activités de nos établissements dans la société qui les entoure. Réexamen des implantations mais aussi des vocations, qui doivent être centrées sur des missions incontestables et fédératrices, telles que les centres de ressources, lesquels, cumulent les avantages, s’ils sont bien conçus et réalisés, de toucher, eux aussi, de nouveaux publics, de réconcilier les concepts de culture et d’information et d’interconnecter notre réseau classique avec les réseaux électroniques.

Enfin, le recentrage des missions doit - ce n’est ni paradoxal, ni incompatible - avec l’élargissement du rayon d’action et de la zone d’intervention de nos établissements : c’est tout l’esprit qui a présidé à la création des C.C.C.L., c’est à dire à la fusion entre des établissements culturels et les bureaux de coopération linguistique et éducative, de façon à ce que des lieux de diffusion de la langue et de la culture deviennent aussi des instruments de coopération linguistique et éducative avec le pays hôte. Mais vous connaissez bien cette problématique.

Si l’on passe pour finir aux réseaux électroniques et en particulier audiovisuels, le besoin d’optimisation apparaît tout aussi manifeste. Il est si manifeste que M. Védrine a l’intention de présenter prochainement au gouvernement toute une série de mesures visant à relancer notre audiovisuel extérieur.

Je me garderai donc de déflorer ce plan et me bornerai à souligner quelques points. Je relèverai, en particulier, que dans le cas de l’audiovisuel aussi, le fait de diffuser en français, même sous titré, en dehors de la zone francophone, exclut d’espérer une audience rentable. Ce qui, là comme ailleurs, mais de manière plus surprenante, nous oriente vers la conquête d’une élite restreinte et nous impose de suppléer l’initiative privée le plus souvent défaillante par le service public lequel n’a pas toujours les capacités de réaction financière, ni la souplesse d’adaptation requises, a priori lorsqu’il s’agit d’une structure de type multilatéral, comme c’est le cas de TV5.

Il n’empêche qu’en sens inverse, les évolutions techniques, à savoir l’avènement du numérique, jouent plutôt en notre faveur, puisqu’elles nous permettent d’augmenter l’offre française de programmes à moindre coût, et de contourner plus facilement le goulot d’étranglement de la diffusion hertzienne. C’est pourquoi notre premier objectif, est devenu de susciter la constitution de bouquets satellitaires de chaînes françaises, là où ils ne se forment pas spontanément, c’est à dire partout en dehors de l’hexagone.

Nous y sommes parvenus en Europe et en Afrique. Nous disposons d’un mini-bouquet (d’ailleurs européen) en Asie et actuellement des études sont faites pour le Maghreb et l’Amérique latine. Nos autres objectifs dans ce domaine consistent à redonner une nouvelle ambition à TV5, dont le réseau de diffusion mondiale est absolument remarquable, mais dont la grille reste sans doute à améliorer et à moderniser. Nous cherchons aussi à recentrer C.F.I. sur sa vocation initiale de banque de programmes qui avait été quelque peu perdue de vue au cours des dernières années. Mais, compte tenu de ce que j’annonçais à l’instant des intentions de notre ministre, je m’en tiendrai là sur nos projets audiovisuels.

Je terminerai en disant un mot du dernier-né des réseaux électroniques - Internet - qui pour l’instant se superpose au réseau audiovisuel, bien qu’il tende à converger avec lui. C’est une nouveauté passionnante et qui nous intéresse au plus haut point, car à nos yeux elle opère une sorte de synthèse entre réseaux virtuels et diffusion culturelle, au sens classique. Internet en effet nous met en rapport instantané, non pas avec des audiences indifférenciées et anonymes, mais avec des individus bien déterminés, voir ciblés, qui dans le monde entier peuvent engager le dialogue avec nous. En outre, les internautes, qui sont en général plus jeunes et plus instruits que la moyenne de la population, correspondent bien au profil de décideurs ou de futurs décideurs que nous visons.

C’est dans cet esprit que nous avons créé ,une cellule Internet à la Direction Générale. Nous lui avons donné les moyens que nous pouvions lui donner. Elle a créé sur le serveur du ministère des affaires étrangères " l’espace culturel ", que je vous conseille de visiter et qui devrait comporter dès 1999 un cours d’auto-apprentissage du français, gratuit, ouvert à l’ensemble de la planète. Cette cellule a également pour mission d’orchestrer, sans les brider le moins du monde les très nombreuses initiatives des postes en la matière, qu’il importe maintenant d’orienter, de conseiller, de valider, et le, cas échéant, de propager.

Mais plus nous avançons sur ce terrain, plus nous découvrons qu’il s’agit pour nous - le mot n’est pas trop fort - d’une véritable révolution, qui touche encore davantage au cœur de notre métier que la révolution audiovisuelle ne l’avait fait et qui va sans doute contraindre nos successeurs à une remise à plat de l’action culturelle dans la décennie à venir.

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Voila ce que je voulais vous dire Monsieur le Président. Pardonnez-moi d’avoir été long mais je l’avais annoncé. Si vous avez eu la patience de m’écouter, vous avez sans doute compris qu’à mes yeux, nous sommes à un tournant, nous assistons à un changement d’époque historique. Un monde disparaît et un autre apparaît. Le monde qui s’efface a bien servi la France, qui a réussi à y occuper une place éminente, et sans doute, au dessus de ses moyens, avant tout en raison du statut de super puissance culturelle qu’on lui accordait généralement.

Le monde qui arrive est, pour nous moins évident, moins facile, plus dérangeant. Mais il ne nous laisse pas le choix de le refuser et, si on y regarde de près comme je me suis efforcé de le rappeler, il nous offre même de belles opportunités. Nous ne pourrons cependant saisir ces opportunités que si nous changeons au même rythme nos mentalités, nos comportements, nos méthodes, nos habitudes, et même nos réflexes, tout en continuant d’apporter ce qui peut être défini comme la " valeur ajoutée " de la France.

Si nous ne devions retenir qu’une seule idée de ce long exposé, ce serait, je crois, cette impérieuse nécessité " de changer tout en restant nous-mêmes " qui lui a servi de fil conducteur, exercice ardu s’il en est mais auquel je vous convie, car, que nous le voulions ou non, il sera désormais le lot quotidien de notre vie professionnelle.

Je vous remercie./.