L'Etat, le citoyen, et la coopération internationale

ACAD-MAE
Relations internationales : l'Etat et le citoyen

Ce qui relève de l'institution scolaire prend en France, comme chacun sait, un relief particulier. La remarque vaut pour l'ENA, son mode de sélection, ses programmes d'étude, les réseaux de pouvoirs qu'elle nourrit. Elle vaut aussi, plus ponctuellement, pour l'installation cette année à Lyon de l'Ecole normale supérieure-lettres, objet de polémiques portant sur le coût de l'opération(1). Elle vaut encore, ou devrait valoir, pour l'établissement d'enseignement et de recherche en relations internationales dont Matignon vient de décider la création, tirant les conclusions d'une mission confiée sur le sujet par M. Lionel Jospin au conseiller M. François Heisbourg par lettre du 26 novembre 1998. Qu'il s'agisse de l'ENA, de l'ENS-lettres ou de cet établissement pour les relations internationales, la question porte en effet sur les privilèges accordés à la formation des « élites », noblesse d'Etat longuement analysée par Pierre Bourdieu. Mais cette question se pose avec une acuité et une urgence particulières pour le modèle d'établissement envisagé dans la suite du rapport Heisbourg, qu'il faut aborder à la lumière de la nomination en septembre 2000 d'une nouvelle direction à la tête de l'ENA, pièce centrale de la réforme de l'Etat à laquelle le ministre de la fonction publique, M. Sapin, entend insuffler une énergie nouvelle.

La signification que renferme la nomination de Mme Anne-Marie Bechtel à la tête de l'ENA ne fait aucun doute : femme, issue du concours interne, tête de liste du Mouvement des citoyens pour les élections municipales dans le 13e arrondissement de Paris, Mme Bechtel a pour tâche de rénover le service de l'Etat en diversifiant la formation des hauts fonctionnaires sous le signe de la parité, de la pluralité sociologique dans le recrutement de l'école et de la mobilité dans les parcours professionnels. La modernisation de la machine administrative doit rapprocher l'Etat du citoyen, afin de réduire la fracture politique dont l'abstention électorale constitue l'un des symptômes les plus manifestes.

On ne pourrait que se féliciter de ces intentions si elles ne s'appliquaient pas uniquement à l'appareil de formation des hauts fonctionnaires, mais revêtait un caractère beaucoup plus général, visant à libérer l'ensemble de la fonction publique des freins qui la bloquent. Il est inutile d'être grand clerc pour deviner que les quelques modifications apportées au fonctionnement de l'ENA n'auront sur la fracture politique guère plus d'effets qu'une réforme de l'Etat depuis longtemps entreprise et jamais accomplie, même si l'annonce par M. Sapin de mesures relatives à la gestion prévisionnelle de l'emploi et à l'ouverture de l'accès aux fonctions d'encadrement laisse espérer des assouplissements. En dehors de tout procès d'intention, on voit mal pourquoi la haute fonction publique française abandonnerait de son plein gré les moyens d'une domination qui sert si évidemment ses intérêts, et qui, selon elle, représente pour la France un atout incomparable. C'est ainsi que Mme Bechtel n'entend nullement remettre en cause le monopole de l'ENA sur le recrutement des hauts fonctionnaires(2). Malgré la baisse tendancielle des pouvoirs d'intervention de l'Etat pris entre le marteau de Bruxelles et l'enclume des marchés, le système a encore de beaux jours devant lui, puisque la perpétuation de sa prééminence, des privilèges qui en découlent et des dommages qu'il cause relève moins d'un double langage de la part du gouvernement, que d'une vision du monde globalement partagée par la technostructure, qui y puise les arguments et les instruments de sa domination, et qui en perçoit les travers sans en avoir réellement conscience. Preuve en réside précisément dans le modèle d'établissement pour les relations internationales que préconise le rapport Heisbourg, et dont le principe a été récemment avalisé par le cabinet du Premier ministre(3).

Une approche ouverte mais restrictive

Curieusement, parmi les nations de premier rang, la France reste la seule qui ait développé un outil ministériel de « diplomatie culturelle », alors que les autres pays mettaient en place des agences de coopération. C'est également la seule qui soit encore dépourvue d'un système d'enseignement et de formation spécifiques dans le domaine de la diplomatie et de la coopération. Cette lacune est fortement soulignée par le rapport Heisbourg : c'est par elle que s'expliquent les défauts « attribués aux Français dans des milieux organisationnels internationaux : individualisme […], arrogance, abstraction, incapacité à partager l'information, attachement à la performance isolée plutôt qu'à la régularité ». Ces défauts paraissent au rapporteur si patents que « notre efficacité y perd inévitablement dans des milieux où les décisions tendent à être prises collectivement et sur une certaine durée » (p.17).

Il est probable que le diagnostic se vérifierait en dehors du champ international et qu'il s'explique autrement que par l'absence de formation. Mais bien qu'il n'étende pas sa réflexion jusque-là, le rapport Heisbourg n'en témoigne pas moins d'une grande lucidité : pour l'établissement il refuse, à l'instar du groupe de travail dont il exprime la pensée, de suivre « une voie de type « grande école », […], solution traditionnelle adoptée en France depuis le milieu du XVIIIème siècle pour pallier aux carences de l'Université face à tel ou tel besoin » (p. 41). Cette lucidité n'a rien d'anodin ni de secondaire. Elle vise le cœur même des solutions proposées : « Ce refus ne résulte pas seulement de la volonté de ne pas aggraver davantage encore la césure spécifique à notre pays entre le secteur étroit et privilégié des grandes écoles et l'immense population estudiantine que les universités tentent tant bien que mal de gérer. Dans une optique strictement utilitaire […], le secteur des relations internationales ne se prête pas à une séparation par rapport aux universités : une formation diplomante de type universitaire est une des clés de la solution ».  L'intention de s'adosser à l'université et d'y élever les relations internationales au rang de discipline reconnue emporte totalement l'adhésion, malgré l'exclusivité accordée à l'enceinte académique. L'endroit par où pèche le rapport, et qui grève par conséquent le projet avalisé par Matignon, ne se situe pas tant au niveau des modèles de formation, qu'au niveau du public auquel il les destine. La détermination de ce choix renvoie à l'objet même de la mission confiée à M. Heisbourg par le Premier ministre, qui consistait en une réflexion sur les moyens de « constituer un vivier de jeunes spécialistes et de chercheurs » en relations internationales, ainsi qu'en affaires stratégiques et de défense. L'ambition est parfaitement légitime, et même louable en ce qu'elle entend « remédier à l'insuffisance des échanges entre les milieux universitaires et à l'éclatement de ces disciplines entre des spécialistes qui communiquent peu entre eux ».

L'esprit ouvert et novateur de la démarche a pour seul tort d'oublier que les relations internationales intéressent d'ores et déjà des milliers, voire des dizaines de milliers de nos concitoyens, qu'elles sont devenues dans les faits l'affaire de tous, et que le mouvement n'est pas près de s'arrêter. Dès lors, si l'on adhère sans réserve à l'idée que « les relations internationales sont une discipline-carrefour », on n'en déplore que davantage que, faute de pousser sa logique d'ouverture à son terme, le rapport limite les bénéficiaires de l'établissement aux diplomates, aux jeunes chercheurs et aux spécialistes, au lieu de l'ouvrir aussi, sous d'autres formes, au vaste public d'ores et déjà concerné. Le diagnostic posé par le rapport Heisbourg est donc exact, mais incomplet : il débouche sur la pertinence conceptuelle des moyens suggérés, mais témoigne d'une flagrante absence d'esprit démocratique dans les objectifs poursuivis.

Confusion des domaines et des buts

 Tel qu'il est envisagé, l'établissement devra couvrir les besoins en formation de toutes les fonctions à caractère diplomatique, ou considérées comme telles, qu'il s'agisse des diplomates de carrière, des administrateurs d'organisations internationales, des personnels relevant des organisations non gouvernementales (ONG), de ceux relevant des collectivités territoriales, des cadres d'entreprises privées. C'est mélanger les objectifs. Car s'il évoque la distinction qu'il est pertinent d'opérer entre le domaine des affaires étrangères, de nature étatique, et celui des relations internationales, qui implique la société civile dans sa diversité, le rapport réunit de facto dans un même corpus les réponses à apporter dans chacun des deux domaines(4).

Cette confusion des besoins, et partant des solutions, a deux conséquences. D'une part elle néglige la spécificité du corps diplomatique qui, même s'il ne bénéficie pas, à l'inverse des autres pays, d'une formation initiale, dispose depuis longtemps de nombreuses sessions de formation continue financées par le Quai d'Orsay - ce que le rapport omet de souligner. D'autre part et surtout, elle laisse de côté la spécificité de tout ce qui dépasse le cadre strict des affaires étrangères, et qui participe précisément des relations internationales, englobant les relations politiques d'échelon local, les échanges commerciaux, et le champ presque illimité de la coopération culturelle, éducative, scientifique et technique. Aussi, fondre dans un même moule la formation des diplomates et celle des praticiens de la coopération empêche de dégager une problématique propre à l'investissement de la société civile dans les affaires internationales, tout en réservant les programmes de formation à quelques centaines de hauts fonctionnaires et de spécialistes, auxquels seront réservés du même coup la professionnalisation du secteur et les fonctions d'autorité. L'argument de la technicité, qui aboutit à sélectionner étroitement les publics bénéficiaires, masque la question de l'accès aux compétences et aux pouvoirs qui en découlent. C'est là le point aveugle d'un rapport par ailleurs remarquable.

Globalité de la coopération

Le cœur de l'enjeu, ce qui lui donne toute sa portée, ce qui nous intéresse tous dans ce projet, ce n'est pas la formation des diplomates de carrière, qui ne porte que sur un nombre restreint de fonctionnaires investis de fonctions d'essence régalienne et qui, logiquement, ressortit pour l'essentiel à l'autorité du Quai d'Orsay. Ce n'est pas non plus l'élaboration d'un dispositif universitaire de perfectionnement et d'aide à la décision destiné à la diplomatie et à la défense, fondé sur la recherche et les filières doctorales, interdisciplinaire par raison, mais élitiste par vocation, tel que l'a défini le rapport Heisbourg et approuvé le gouvernement. Ce dispositif, qu'il est prévu de nommer, de manière significative, Institut des Hautes Etudes en Relations Internationales (IHERI), doit être appréhendé comme une école d'expertise de facture classique, comparable par exemple à l'Institut des Hautes Etudes de Développement et d'Aménagement du Territoire, centrée sur des problématiques d'ordre stratégique et supposant un niveau élevé de qualification préalable.

L'enjeu qui fait tout l'intérêt de la question n'est pas là. Il réside en réalité dans l'exercice des relations internationales considérées sous l'angle de la coopération tous azimuts. Il ne s'agit pas simplement de fournir à une « élite » des compétences théoriques grâce à une formation aujourd'hui déficiente, mais de fonder rationnellement une pratique d'intervention socio-professionnelle d'ores et déjà existante mais mal exploitée. Sauf à rater de manière exemplaire l'occasion d'assumer le rôle d'impulsion dont il se prévaut, l'Etat ne peut plus faire l'économie d'une concertation nationale sur l'engagement de la collectivité dans les affaires de coopération.

Cette approche de nature contractuelle inclut une réflexion sur la mobilité des personnels impliqués, sur l'évaluation de leurs compétences et sur la validation de leurs acquis, sur la place et le rôle des institutions et organismes partenaires, et finalement sur la mobilisation des citoyens. Pour avoir véritablement du sens, l'école des relations internationales envisagée doit servir de pivot à une dynamique de réformes qui engage non seulement l'administration, mais le pays lui-même. Par conséquent la question de fond n'est pas d'ordre technique, comme celles que le rapport Heisbourg s'emploie à résoudre, mais politique, en tant qu'elle met en jeu les liens que la nation dans son ensemble entretient avec la scène étrangère à l'heure de la mondialisation.

Le réseau culturel extérieur

L'exemple le plus immédiat, qui concerne le socle actuel du système, touche au recrutement, à la formation, à l'évaluation et à la réinsertion des personnels nommés par l'Etat dans le réseau culturel extérieur. C'est un exemple d'autant plus sensible que la coopération subit une diminution constante de ses budgets, appelant une meilleure efficacité des moyens humains et financiers qu'elle engage. Ces personnels dépendent du ministère des Affaires étrangères, et plus particulièrement de la Direction Générale de la Coopération Internationale et du Développement (DGCID)(5). Sans entrer dans le détail du dialogue parfois compliqué, au sein de ce ministère, entre la Direction Générale de l'Administration, qui nomme les personnels culturels, et la DGCID, qui contribue à les nommer, deux traits du réseau extérieur retiennent l'attention : d'un côté, la tendance à « diplomatiser » toujours plus les fonctions culturelles et de coopération, de l'autre l'absence à peu près totale de formation initiale ou continue chez les agents, diplomates ou non, chargés de les remplir(6).

Certes, la tradition consistant à privilégier les formations sur le tas ne manque pas de panache, mais elle n'est plus adaptée, pour autant qu'elle l'ait jamais été, à l'incessante complication des tâches et des fonctions dans le champ de l'international. De plus, l'absence de formation induit l'absence de critères d'évaluation des compétences qui soient à peu près objectifs, donc d'indicateurs indispensables à la transparence des nominations. Malgré l'extrême attention portée par la DGCID au profil des candidats, les efforts de transparence consentis par le ministère des affaires étrangères au niveau de la publication des postes vacants butent, pour être effectifs, sur l'opacité des critères de recrutement, laissant la voie libre aux choix discrétionnaires. Ce problème récurrent ne sera pas réglé tant que la coopération culturelle et technique restera perçue comme une activité secondaire au regard des fonctions politiques traitées dans les chancelleries, autrement dit comme la stricte servante de nos intérêts proprement diplomatiques.

La complexité des tâches de coopération s'avère même si marquée que l'interdisciplinarité réclamée à bon droit par le rapport Heisbourg pour les activités de recherche se retrouve de facto dans la variété des programmes et dans la réalité des savoir-faire déployés sur le terrain. C'est bien ce qui explique l'importance des besoins de formation pour tous les agents chargés en France comme à l'étranger d'initier, de gérer et de coordonner ces programmes. Et dans la mesure où, par une heureuse tradition, le réseau culturel extérieur recourt largement à des personnels détachés ou contractuels qui proviennent des administrations et organismes avec lesquels ils collaborent ensuite dans les postes, c'est une population hétérogène et fort nombreuse qu'il est indispensable de former aux réalités internationales.

De là découle l'obligation d'établir les conditions d'une mobilité fonctionnelle efficace entre les agents. Obligatoire pour les anciens élèves de l'ENA, la mobilité, pour les autres fonctionnaires, est freinée par des blocages statutaires, des entraves budgétaires ou des instructions ministérielles(7). L'égalité des droits réclame une égalité de traitement en cette matière comme ailleurs. Du reste, les hauts fonctionnaires, qui revendiquent pour eux-mêmes plus de mobilité et de meilleures perspectives de carrière, trouveraient avantage à revendiquer le même progrès pour tous. C'est la fonction publique dans son ensemble qui souffre de parcours bloqués et d'arthrose. La mobilité représente la seule façon de procéder à la fertilisation croisée des expériences, et elle favorise dans le champ international les contacts entre les différents secteurs, permet d'organiser des réseaux, facilite la communauté de langage entre des agents venus d'horizons divers. Toutes les institutions impliquées en tirent bénéfice.

A ce titre, la nomination croissante de diplomates sur les postes de coopération culturelle et technique offre assurément des avantages pour ce corps, mais représente une moins-value considérable pour le corps social dans son ensemble. C'est un vivant mouvement d'échanges au sein de l'Hexagone entre structures partenaires qui se trouve remis en cause, alors que l'intérêt public commande justement de l'amplifier et d'en rationaliser les règles. Si professionnaliser les fonctions culturelles et de coopération signifie les réserver au corps diplomatique, même formé en conséquence, et quelles que soient ses qualités, ce n'est pas d'un progrès, mais d'une démarche carrément régressive qu'il faudra parler. Ce serait constituer un monopole absolument contraire, dans l'esprit et dans les faits, à la réforme de l'Etat, une priorité donnée aux décisions verticales, une stérilisation des initiatives, une exclusivité dommageable pour la nation et oublieuse du citoyen, à rebours d'une conception démocratique prônant une offre de formation tous azimuts en même temps que l'ouverture raisonnée de toutes les fonctions, y compris celles d'autorité, à la diversité d'acteurs sérieusement formés, et nommés sur des critères de compétence avérée(8).

La coopération, une pratique-carrefour

Cette dernière conception n'est pas nouvelle. Dès 1993 elle a inspiré l'idée d'un Institut pour la coopération internationale partiellement hors les murs, voué à la formation et à l'information du plus large public possible(9). En liant formation, information, mobilité des acteurs et mobilisation citoyenne, c'est un projet de plus vaste envergure que celui aujourd'hui adopté par Matignon, et confié au Quai d'Orsay en conséquence directe de la confusion des domaines et des buts relevée ci-dessus, au risque de l'enterrer.

Ce projet, rédigé sous forme de propositions, consiste pour une grande part à valoriser en France les programmes de coopération menés à l'étranger, tout spécialement en matière d'éducation. Il veut sensibiliser l'institution estudiantine et scolaire à la sphère internationale, en particulier alerter et intéresser les chefs d'établissements. Il va même plus loin : il ambitionne d'offrir à la multitude d'enseignants, d'élus, d'artistes, de cadres ministériels, de responsables municipaux d'action culturelle, d'agents des collectivités locales, de membres d'ONG, d'ingénieurs, de syndicalistes, de juristes, d'urbanistes, de responsables associatifs, de candidats au nouveau « Volontariat civil international », de retraités de tous métiers, qui se sentent ou qui sont concernés par l'international, les moyens de se former, de se perfectionner et de s'informer. Dit autrement, le projet vise à traduire en termes sociaux le concept de coopération comme discipline-carrefour et pratique-carrefour, en termes économiques le retour sur investissement des financements que le pays alloue aux programmes, et en termes politiques la richesse des ressources humaines qu'il leur consacre.

L'actualité ni l'urgence du projet n'ont changé. Si l'on accepte de voir un réel élément de démocratie dans la mobilisation du pays pour la coopération culturelle et technique, et si l'on veut répondre aux attentes d'une population encore en devenir - la demande dépendant en partie de l'offre, comme le note le rapport Heisbourg à propos du secteur privé - il est impératif de créer un établissement qui fournisse une palette complète de savoirs théoriques et pratiques, et en particulier les compétences nécessaires à l'exercice d'un métier multi-fonctionnel - celui d'acteur de la coopération - dont les contours, au demeurant, restent flous et l'analyse à faire.

Cela suppose sans le moindre doute de créer un système d'enseignement assuré par des universitaires, par des hauts fonctionnaires, par des praticiens de la coopération et par des professionnels des secteurs. Cela suppose aussi une concertation approfondie avec les principaux ministères, organismes et institutions engagés dans le domaine, dont le Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et au premier rang l'Education nationale(10). Dans ces conditions, et sous peine de conduire à des décisions prises en petit comité, cette concertation ne peut pas faire l'impasse sur des assises nationales de la coopération culturelle et technique placées sous la présidence du Premier ministre.

L'intérêt porté à l'affaire par M. Lionel Jospin rend théoriquement possible la création rapide d'une école élaborée de manière démocratique, adossée au système universitaire tout en recourant aux professionnels de terrain, nantie d'un site visible voire prestigieux, pourvue de l'appareillage technologique nécessaire à son activité de communication, et fréquentée par un public aussi large que divers.

Rien n'interdit, bien au contraire, de rattacher cette école à l'établissement de recherche préconisé par le rapport Heisbourg, qui regrouperait sous un même nom deux entités distinctes mais complémentaires. L'appellation élitiste évoquée, Institut des hautes études en relations internationales, n'est manifestement pas la mieux appropriée. Néanmoins, peu importe : il ne s'agit pas ici d'anticiper le nom ni les formes que doit prendre un établissement adapté aux aspirations républicaines dont s'honore, au moins verbalement, la réforme de l'Etat. Ce dont il s'agit, c'est d'indiquer le point aveugle d'un projet légitime et depuis longtemps attendu, mais qui transforme une volonté positive en une maquette pour privilégiés.

Lors de la réunion interministérielle du 10 octobre 2000, M. Heisbourg a su attirer l'attention des participants sur l'utilité d'élargir les formations prévues aux multiples acteurs concernés. Cette prise de conscience est partielle, mais essentielle. Aucune voie ne paraît fermée. Par conséquent il convient d'insister : c'est la dynamique de la coopération dans toutes ses composantes - y compris statutaires - qu'il faut encourager si l'on veut favoriser la participation des citoyens à la scène extérieure, et contribuer par là à réduire la fracture politique qui fissure la démocratie.

Jean-Michel DELACOMPTEE - 10.11.2000

1. Un investissement de près de 800 millions de francs au profit de 456 élèves normaliens, comparés au budget moitié moindre alloué, dans cette même ville, à la transformation de l'ancienne Manufacture des tabacs au profit des 15000 étudiants accueillis sur le site. Voir Le Monde du 10 octobre 2000.

2. Voir Le Monde du 24 octobre 2000, où l'on peut lire par ailleurs cet avis d'un spécialiste de la réforme de l'Etat : « Ce n'est pas la société française qui est bloquée, ce sont les corps de direction qui bloquent la société ».

3. Réunion interministérielle tenue le mardi 10 octobre 2000.

4. Cette distinction est évoquée à propos d'Oxford : « Dans l'esprit des responsables, les relations internationales sont clairement distinctes de la politique étrangère (foreign policy) ; ils ont la perception qu'en France, une certaine confusion existe entre les deux catégories, l'Etat étant considéré chez nous comme l'alpha et l'oméga des relations internationales », p.28.

5. La DGCID est née en 1998 de la fusion, au sein du Quai d'Orsay, de la Direction Générale des relations culturelles, scientifiques et techniques, et du ministère de la Coopération.

6. Les tentatives faites jusqu'alors pour assurer une formation pertinente aux agents nouvellement nommés à l'étranger ont toujours échoué, au motif qu'une semaine d'initiation suffisait à aguerrir des agents qui, le plus souvent, ne possèdent pas la moindre idée des tâches qui les attendent.

7. En particulier pour les enseignants, au motif, mille fois entendu, que le seul rôle des enseignants est d'enseigner. Quelle profession a davantage besoin, pourtant, de connaître les expériences menés à l'étranger, et, plus largement, de cultiver sa curiosité pour régénérer ses propres pratiques et ses motivations ?

8. Des fonctions importantes sont encore dévolues, à la DGCID, à de non-diplomates, surtout en raison de vraies compétences, mais aussi, en certains cas, par connivence politique. Le monopole n'est donc pas encore absolu. Par ailleurs, il faut noter que la titularisation des agents contractuels dans le cadre de la loi Le Pors représente un élément de rigidité non négligeable pour la gestion de la mobilité.

9. Cette approche a été défendue par l'«Association des agents détachés auprès du ministère des Affaires étrangères » (ACAD-MAE), devenue entre-temps, avec le même sigle, l'association des « Acteurs de la coopération internationale et de l'aide au développement auprès du ministère des Affaires étrangères ».

10. Le ministère de l'éducation nationale s'appuie sur une Délégation aux relations internationales et à la coopération (DRIC), qui gère notamment le recrutement de ses agents sur des postes à l'étranger et leur réinsertion en France. Les résultats mitigés enregistrés en ce domaine prouvent, malgré les efforts des fonctionnaires en charge de ces dossiers, la nécessité d'envisager une gestion du problème qui dépasse les formes administratives traditionnelles.