Questions après la table ronde du mercredi 30 août 2000 au matin
Intervention de M. Serge TOMASI
Je travaille à la représentation permanente de la France auprès des Nations Unis après avoir travaillé pendant six ans pour la coopération française bilatérale. J'ai fait 6000 kilomètres pour participer à ces travaux. J'ai beaucoup écouté et observé. Je voudrais faire quelques observations, présenter quelques réflexions à partir des interventions de ce matin, mais aussi en forme un peu de bilan que je dresse de ces travaux, si vous le permettez.
1/Je commercerai par réagir et prolonger peut-être l'intervention de M. LANTERI. Je voudrais tout d'abord dire, qu'il y a une grande attente, me semble-t-il, du côté des agents de la coopération française vis-à-vis du H.C.C.I., et il ne faut pas décevoir cette attente. Quand je dis les agents de la coopération française, c'est pour moi aussi bien des agents de l'AFD que du Ministère des affaires étrangères, c'est aussi bien les fonctionnaires du ministère que les contractuels ou les personnels détachés. Tout ça, c'est une même famille, c'est un même métier, c'est une même culture qui me paraît très proche de la culture des adhérents des ONG, associations, universitaires qui sont représentés au sein du H.C.C.I. S'engager dans la coopération, c'est un acte militant. Après, à chacun de choisir si ce militantisme s'exprime par le biais du service de l'Etat ou du service d'une ONG. Je dis cela parce qu'il me semble très important d'éviter de créer des barrières artificielles entre différentes formes d'engagement en faveur de la coopération et d'une certaine forme de solidarité internationale. J'ai quand même été très frappé par une tendance à une certaine diabolisation de la DGCID tout au long de cette semaine, et je voulais quand même le signaler.
Deuxième élément que je voudrais souligner : par rapport à cette attente, je crois qu'il y a une attente aussi en terme de réforme de l'administration française ; comme l'a très bien noté hier Eric DANON, le Haut Conseil de la Coopération Internationale s'inscrit dans le développement assez récent d'un certain nombre d'organismes qui tentent de "jeter un pont" entre l'administration et la société civile. Il a cité notamment le Conseil de l'audiovisuel. Ces différentes initiatives me semblent relever d'une même démarche, d'un processus tendant à promouvoir une réforme progressive de l'administration visant à favoriser l'émergence d'une administration plus citoyenne, plus transparente, plus ouverte au dialogue avec la société civile. Pour atteindre cet objectif, il est important que le H.C.C.I. devienne ou crée un espace de dialogue. Pour qu'il y ait dialogue, il faut que ce dialogue soit constructif et réaliste ; là aussi, je voudrais dire que j'ai quand même été frappé par le fait que, souvent, on en restait au stade de la dénonciation incantatoire. J'ai parlé de la DGCID, mais on a été très sévère sur les institutions multilatérales, et notamment la Banque Mondiale, on a dénoncé l'Union européenne, on a dénoncé le monde anglo-saxon, on a dénoncé le concept de bonne gouvernance, on a dénoncé le concept de lutte contre la pauvreté. Je pense qu'il faut aller au-delà et accepter le dialogue avec toutes ces instances. Il faut aussi accepter ces concepts, en étant pleinement conscient de leurs présupposés théoriques ou idéologiques, comme de leurs limites, et s'efforcer de faire évoluer le dialogue international.
2/ Deuxième réaction. Je voudrais dire deux mots sur l'intervention de Mme LALUMIERE. Je crois qu'elle a un défi à relever aussi parce que l'Union européenne a été très critiquée tout au long de nos débats, et je ne voudrais pas qu'après l'afro- pessimisme qui a coûté cher à la Coopération française, on tombe aujourd'hui dans un "européano-pessimisme".
Je voudrais dire sur ce point faire deux remarques :
- D'abord, l'Union européenne existe sur la scène multilatérale; il n'y a pas qu'à l'OMC qu'elle s'exprime d'une seule voix ; il y a aussi aux Nations Unies à New York ; tout dépend des forums ; au Conseil de Sécurité, ce sont les Etats-membres qui s'expriment généralement à titre national. Mais dans tous les débats à l'assemblée générale ou au Conseil Economique et Social, et notamment sur les dossiers économiques, l'Union européenne parle d'une seule voix : c'est la présidence en exercice qui parle au nom des 15 et je voudrais dire qu'elle a un poids immense. Tous les débats économiques aux Nations Unies sont orientés par l'Union européenne, et c'est autour des positions de l'Union européenne que se fait la discussion. C'est là un acquis qui me paraît très important.
- Ensuite, il ne faut pas minimiser notre capacité à influencer les discussions multilatérales, à faire évoluer les concepts. La notion de lutte contre la pauvreté à été longuement débattue ici, et les limites de ce concept largement expliquée. Le H.C.C.I. a adopté hier un avis demandant à ce que des questions comme celle de l'inégalité des revenus et du respect des droits économiques et sociaux soient mieux pris en compte lors de débats sur la lutte contre la pauvreté. Je voudrais signaler ici que dans le cadre des résolutions qui sont adoptées chaque année par l'Assemblée générale des Nations Unies sur le thème de la lutte contre la pauvreté, ces deux questions (lutte contre les inégalités et respect des droits économiques et sociaux) sont désormais prises en compte. C'est le résultat de la détermination et de la pression des 15 membres de l'Union européenne.
3/ Troisième observation : il est nécessaire, si l'on veut agir en faveur d'une véritable "refondation" de la coopération française, de dépasser ce que j'appellerais, d'une façon une peu provocatrice, "le syndrome d'Astérix le Gaulois" que j'ai vu resurgir hier soir à plusieurs reprises lors de la restitution de nos travaux.
Je voudrais en donner deux exemples pour éclairer mon propos :
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l'atelier sur le microfinancement : la question posée à cet atelier était la suivante : est-ce qu'il existe une pensée autonome de la coopération française en matière de microfinancement" ? dans la restitution qui nous a été présentée, on ne s'est pas interrogé sur la légitimité de cette question : "la France doit-elle avoir une pensée autonome sur le microfinancement". En vertu du quoi la France devrait avoir une pensée autonome sur tous les sujets, et notamment sur le sujet du microfinancement ? Pourquoi ne peut-on pas inscrire notre démarche dans une démarche plus ouverte, moins ambitieuse et "autonome". J'ai pris ce sujet, mais il y aurait d'autres exemples. Je crois que c'est très important pour le H.C.C.I. parce qu'il faut absolument que le H.C.C.I. cible ses priorités. Je reprendrai là une des propositions d'Hubert PREVOT, il faut vraiment que vous définissiez vos priorités en fonction de vos compétences propres, de vos ressources internes et aussi en fonction des sujets et thèmes que revêtent une importance particulière, les domaines dans lesquels la France peut ou doit avoir un message particulier. |
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l'Afrique : Je voudrais aussi vous dire un mot sur le débat qui s'est esquissé hier sur l'Afrique et qui m'a profondément gêné. Certains intervenants, dans leur bilan, ont regretté qu'on ait accordé une trop grande place à l'Afrique dans nos débats. Ils ont semblé y voir là un nouveau signe d'un héritage du passé, d'un fardeau dont la France ne parviendrait pas à de débarrasser et ont appelé à faire une plus grande place aux autres régions du monde. |
Je pense au contraire que la coopération française doit continuer à faire de l'Afrique une priorité. Mais non pas en raison d'une "responsabilité historique", parce que ce serait l'héritage du passé. Il faut nous débarrasser définitivement de ce "sanglot de l'homme blanc".
La priorité à l'Afrique est d'abord autant le produit de la géographie que de l'histoire. La géographie nous impose en effet une relation de proximité avec l'Afrique. Tout comme nous ne pouvons pas nous désintéresser de l'évolution des pays d'Europe de l'est ou du bassin méditerranéen, nous ne pouvons pas faire l'impasse sur l'évolution du continent africain.
C'est aussi le produit du présent : aux Nations Unies, organisation universelle, 80 % des débats au Conseil de Sécurité et 80 % de ceux consacrés aux questions économiques, sont centrés sur l'Afrique. Cette concentration n'est pas imposée par je ne sais quel héritage historique. La raison en est simple : 2/3 des conflits en cours se situent en Afrique et 2/3 des pays les moins avancés sont africains. Aujourd'hui, c'est l'Afrique qui est marginalisée dans le commerce mondial, l'accès aux nouvelles technologies. C'est l'Afrique qui connaît un niveau de développement économique et social particulièrement faible. Le bataille du développement se déroule en partie en Afrique et toute réflexion sur la coopération pour le développement doit faire une place, forcément particulière, mais non pas exclusive, à l'Afrique.
4/ Quatrième et dernière observation : je voudrais souligner l'intervention de Laurence TUBIANA hier qui, à mon avis, est une intervention extrêmement importante, non pas seulement parce qu'elle était très brillante, mais parce qu'elle a abordé une question fondamentale : celle des biens publics globaux et de la gouvernance mondiale.
Je voudrais dire que, vu de New York, c'est le sujet fondamental aujourd'hui, beaucoup plus actuel que ceux sur la gouvernance, la lutte contre la pauvreté, qui me paraissent déjà des sujets un peu connotés historiquement, qui appartiennent à la décennie 90. La question des biens publics globaux va structurer et dominer les débats sur la coopération internationale des prochaines années. Derrière la thématique des biens publics globaux, il y a une refondation complète de la coopération économique internationale qui se profile, ainsi qu'une réforme des institutions multilatérales, des instruments et des politiques de coopération au niveau multilatéral comme national.
Le PNUD a lancé le débat l'année dernière avec un ouvrage très important, qui ne se limite pas à une approche théorique et académique de la notion de biens publics, mais qui tente de poser des questions d'ordre politique, d'appréhender les conséquences politiques que nous devrons tirer dans les prochaines années de cette émergence des biens publics globaux, notamment au niveau de l'organisation des relations internationales et de la coopération internationale. Ainsi le PNUD met en exergue la nécessité d'intégrer dans la définition de nos politiques nationales, leurs externalités pour nos partenaires, et d'en tirer des conséquences au niveau budgétaire (ie instaurer dans les budgets de tous les ministères, des lignes budgétaires pour prendre en compte la dimension internationale et le coût des externalités. Il a posé la question du rôle respectif dans les négociations multilatérales, des ministères des affaires étrangères et des ministères techniques parce que les discussions deviennent de plus en plus techniques ou parce qu'il est nécessaire de s'affranchir des stratégies "politiques" traditionnelles pour mieux gérer, dans l'intérêt collectif, ces biens publics globaux.
Le PNUD lance une deuxième phase d'étude sur ce sujet une première réunion du comité de pilotage est prévue le 3 octobre. Laurence TUBIANA et moi-même, nous avons été invités à participer à ces travaux. Je suis déterminé à faire tous les efforts possibles dans les prochains moins pour initier une solide coopération entre le PNUD et un organisme public français sur ce thème qui me paraît un enjeu fondamental. Donc, si le H.C.C.I. est intéressé par ce sujet et qu'il veut bien en faire une priorité, nous sommes disposés à l'aider à s'insérer dans ce débat car il me semble que toute réflexion aujourd'hui sur la réforme de la coopération doit intégrer cette dimension "des biens publics globaux"
Je vous remercie.